Actualité
PROSTITUTION & PARCOURS DE SORTIE EN NOUVELLE-AQUITAINE
D'où vient-on ? Où en est-on? Où va-t-on ?
Loi du 13 avril 2016 et parcours de sortie de la prostitution
Colloque organisé par La Direction Régionale aux Droits des Femmes et à l'Egalité
Le Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine & L'association I.P.P.O
OUVERTURE
I - LA LOI DU 13 AVRIL 2016 ET LES PARCOURS DE SORTIE DE LA PROSTITUTION
LES QUATRE PILIERS DE LA LOI DE LUTTE CONTRE LE SYSTEME PROSTITUTIONNEL, EN PARTICULIER CELUI DU PARCOURS DE SORTIE DE LA PROSTITUTION
POINT D'ETAPE EN NOUVELLE-AQUITAINE
II - PROSTITUTIONS : DE QUOI PARLE-T-ON ? DE QUI PARLE-T-ON ? D'OU PARLE-T-ON ?
L'EVOLUTION DE LA PERCEPTION DES PROSTITUTIONS PAR LA SOCIETE AU TRAVERS DES DEBATS PUBLICS
LES ENJEUX DES REPRESENTATIONS A L'ŒUVRE
III - A LA RENCONTRE DES PERSONNES PROSTITUEES
« MON CORPS/MA CAGE », PROJECTION DU FILM DE LA COMPAGNIE TETEACORPS
LE TRAVAIL AUPRES DES PERSONNES PROSTITUEES SUR INTERNET
IV - ACCOMPAGNER L'INSERTION DES PERSONNES PROSTITUEES : TABLE RONDE………………………………………………
DES REGARDS CLIVES AUX REGARDS CROISES : DE LA DISCRIMINATION A LA COHERENCE
ARTICULATION, COHERENCE ET COMPLEMENTARITE DU TRAVAIL JURIDIQUE, MEDICAL, PSYCHOLOGIQUE ET SOCIAL DANS L'INSERTION
V - LES COMMISSIONS DEPARTEMENTALES : OU EN EST-ON ?
L'EXPERIENCE DE LA PRESENTATION D'UN DOSSIER DE PARCOURS
POINT D'ETAPE NATIONAL SUR LES COMMISSIONS DEPARTEMENTALES
QUELLE DYNAMIQUE POUR L'ACCOMPAGNEMENT DES PERSONNES PROSTITUEES DANS LES DEPARTEMENTS ?
CONCLUSION PAR LILIAN MATHIEU
REMERCIEMENTS
Ouverture
Maryse Tourne, Présidente de l'association IPPO
Mon rôle est celui de dire merci. Je voudrais remercier Monsieur le Préfet de la Nouvelle-Aquitaine, Mesdames Sophie Buffeteau et Cendrine Léger de la DRDFE qui nous avez accompagné.e.s dans l'organisation de ce colloque. Je souhaite également remercier Madame Naïma Charaï ainsi qu'Hélène Alidjra et Sylvie Marcadier de la région Nouvelle-Aquitaine. Je remercie la mairie de Bordeaux pour le prêt de la salle dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Merci également à l'équipe d'IPPO pour leur investissement dans l'organisation de cette journée : Myriam, Emmanuel, Anne-Marie. Je remercie également Madame Catherine Coutelle, ancienne députée et présidente de la délégation égalité femmes-hommes à l'Assemblée Nationale, vous avez porté la loi du 13 avril 2016 avec conviction. Merci à l'équipe de théâtre TêteAcorps qui vient de Poitiers présenter sa réalisation artistique. Merci à Monsieur Lilian Mathieu, et à Madame Eva Clouet, sociologue qui a travaillé sur la prostitution sur Internet. Merci à tous les intervenants et participants de ce colloque.
Nous nous trouvons dans une salle située dans un quartier de la ville Bordeaux où la prostitution est justement présente et visible, et où elle pose des problèmes aux habitants du quartier. Nous en sommes très conscients. Vous aurez l'occasion de dire ce qui va et ce qui ne va pas sur cette loi du 13 avril 2016, qui est toute nouvelle. J'ajoute un dernier mot qui me tient à cœur particulièrement : il s'agit de la réduction des risques, des risques liés à la prostitution, liés à la transmission des IST, et du VIH/Sida. La loi en parle un peu, et j'ai envie de vous dire, à l'heure où l'on vous parle beaucoup d'une prévention toute médicalisée, vous devez oser une prévention basée sur l'écoute et l'échange, mettez des préservatifs féminins et masculins à disposition, demandez-en à votre ARS si vous en manquez, rapprochez-vous des centres de planification et autres planning familiaux, osez dire que vous ne savez pas et que vous allez chercher, osez la prévention. Je vous remercie et vous souhaite une bonne journée.
Naïma Charaï, Conseillère Régionale Nouvelle-Aquitaine
Vous devez vous demander ce que fait la région dans un colloque autour de la loi de 2016. Je suis conseillère régionale, déléguée à l'égalité femmes-hommes, à la lutte contre les discriminations et aux solidarités auprès d'Alain Rousset sur la Nouvelle-Aquitaine. La Région a initié un travail de fond autour de l'égalité entre les femmes et les hommes et ce depuis 2015. En 2016, nous avons souhaité associer l'ensemble des acteurs et actrices du territoire Nouvelle-Aquitaine sur le nouveau règlement d'intervention autour de l'égalité femmes-hommes. Nous avons organisé ce que l'on appelle les assises de l'égalité et de la solidarité, et ce travail s'est conclu sur un règlement d'intervention que nous avons voté en juin dernier.
De manière simultanée, nous avons signé la charte européenne pour l'égalité dans les collectivités locales. Après ce travail, nous avons souhaité accompagner un certain nombre d'associations dans la région, qui œuvrent pour l'égalité femmes-hommes. Nous travaillons avec elles depuis plusieurs années, dont IPPO.
Nous avons collaboré sur un certain nombre de sujets, et le dernier était en novembre 2017 autour d'un colloque sur les violences faites aux femmes à la Région, avec la DRDFE, avec l'ARS et avec l'ensemble aussi des associations du territoire.
Ce colloque aujourd'hui s'inscrit dans cette démarche collaborative avec l'État pour essayer de prévenir les violences faites aux femmes. C'est pour cela que la Région participe, et je suis très intéressée de voir les travaux, les différentes tables rondes qui auront lieu dans la journée pour faire le bilan de cette loi de 2016, et voir comment la Région dans les années à venir va pouvoir accompagner les structures qui luttent contre les violences faites aux femmes.
Je voulais aussi remercier les services de la Région qui ont permis d'organiser ce colloque et aussi pour leur travail tout au long de l'année afin d'être au plus près des territoires et des thématiques rencontrées par les femmes et les hommes en difficulté.
Sophie Buffeteau, Directrice Régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE)
Je souhaitais simplement excuser le préfet Monsieur Lallement, qui a pris ses fonctions lundi dernier, ce qui bouscule évidemment tous les agendas. Vous le savez il y a vingt mois a été promulguée la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées, loi qui a été portée avec force par Catherine Coutelle ici présente. Nous la remercions d'être parmi nous, c'est très précieux pour nous qu'elle puisse nous présenter la loi et expliquer dans quel esprit elle a été pensée et votée. C'est une loi qui a donné lieu, à l'époque, à des débats très vifs au sein de la société. Vingt mois après, l'intérêt de ce colloque n'est pas de rouvrir des débats qui ont été conclus à l'Assemblée Nationale, mais plutôt de faire le point en Nouvelle-Aquitaine, de la façon dont cette loi s'applique : où on en est, qu'est-ce qui fonctionne bien, et aussi évidemment qu'est-ce qu'on peut améliorer. La mise en place de cette loi mobilise énormément les associations sur le terrain, mais aussi les déléguées départementales aux droits des femmes et à l’égalité. Un grand nombre sont là aujourd'hui et je les remercie. Nous travaillons, toutes ensembles, à la mise en place de cette loi, depuis un an et demi, en essayant de le faire de la manière la plus coordonnée possible en Nouvelle-Aquitaine. On a collectivement beaucoup appris, mais il nous reste beaucoup à faire. L'objectif est donc de partager tous et toutes ensemble les connaissances acquises, de consolider notre travail commun, de mutualiser les réponses, de partager les questionnements et aussi les bonnes pratiques qui ont pu se développer dans des départements. Pour conclure, je voudrais à mon tour remercier le Conseil régional avec qui nous développons un partenariat de très haute qualité qui permet de faire avancer beaucoup plus efficacement les sujets en matière d'égalité femmes-hommes. Je terminerai en remerciant l'association IPPO, avec qui nous menons aussi un travail de très grande qualité depuis longtemps.
I - La loi du 13 avril 2016 et les parcours de sortie de la prostitution
Les quatre piliers de la loi de lutte contre le système prostitutionnel, en particulier celui du parcours de sortie de la prostitution
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées, ancienne présidente de la DDF (Délégation aux Droits des Femmes à l’Assemblée Nationale)
Je vous remercie de m’avoir invitée et m'associe à tous les remerciements qui ont été exprimés. Je précise que dans la loi, il est dit que l'État doit sensibiliser le grand public et les intervenants à la question de la prostitution. Donc je vous remercie toutes et tous d'être là aussi nombreux aujourd'hui.
Pourquoi ce texte sur la lutte contre le système prostitutionnel? C'est en premier lieu pour répondre aux engagements internationaux de la France. La convention de l'ONU de décembre 1949 que la France a ratifié en 1960 dit : « la prostitution et le mal qui l'accompagne à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine ». A partir de ce moment, nous sommes devenus un pays « abolitionniste ». La loi vise à combler un vide juridique. Depuis la loi dite Marthe Richard de 1946 qui impose la fermeture des maisons closes, aucune législation récente sauf le délit de racolage en 2006, et qui va contre la notion d'abolition en faisant des personnes prostituées des coupables, ne traduisait la position abolitionniste. La loi a donc pour objectif de combler ce vide juridique et de lutter non pas contre la prostitution, mais contre le système prostitutionnel, car il s'agit bien d'un système. Il y en a une quatrième, ne rien faire, ne rien voir, mais ce n'est pas une politique : la prohibition, la réglementation et l'abolition.
La prohibition, c'est interdire tout, tout le monde est coupable, les personnes prostituées, les réseaux, les proxénètes, les clients. C'est le cas de certains États des États-Unis, ou de pays du Maghreb. La réglementation, comme chez nos voisins en Espagne, Allemagne, et aux Pays-Bas, la prostitution est légale, elle peut se déployer dans des vitrines aux Pays-Bas par exemple. Ce que l'on constate avec la réglementation, c'est une explosion de la prostitution : en Allemagne il y aurait 400 et 500 000 personnes prostituées. En France, même si les chiffres sont sujet à caution, il y aurait 40 000 selon les services de police et les associations, sans doute beaucoup plus car il y a une prostitution invisible, mais on n’est pas au niveau de l'Allemagne. L'Europe elle-même reconnaît que la réglementation favorise les réseaux. C'est pourquoi je n’utilise pas l’expression « travailleur ou travailleuse du sexe », car pour moi il n'est pas question de travail. C'est le débat que nous avons eu à l'Assemblée, il est question d'une traite des personnes humaines et d'une atteinte à la dignité humaine et d’une marchandisation des corps.
Pourquoi une loi en 2016 ? Grâce à une conjonction de volontés : Celle du gouvernement avec Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes, des associations mobilisées dans un groupement « abolition 2012 », et des parlementaires de la délégation aux droits des femmes, à la suite du rapport de D Bousquet et G Geoffroy de 2010 qui s'en sont saisis puisque c'est une proposition de loi déposée en accord avec le gouvernement. Nous avons souvent négocié avec divers ministères qui n'avaient pas tous ni la même vision de la prostitution ni des solutions, et ces négociations se sentent parfois dans la loi.
On ne peut pas parler d'une prostitution mais des prostitutions. La loi s'occupe principalement de la prostitution liée à la traite. Cette forme de prostitution a explosé fin XX siècles, dans les années 1990 : 20% des personnes prostituées étaient étrangères en France, en 2016, 93% sont étrangères. On est sur un phénomène nouveau, d'une ampleur inédite, qui a basculé dans les années 1990 sous l'effet de de plusieurs facteurs:
- l'espace Schengen, et l'arrivée des pays de l'Est dans l'Union donc la libre circulation,
- Internet, qui a fait exploser la demande et faciliter l'organisation des réseaux, et du crime organisé. Il faut avoir bien conscience que ces personnes que vous voyez sur les trottoirs de nos villes sont les premières victimes et les premières rapporteuses d'argent du crime organisé mondial. Ce sont des sommes colossales qui sont en jeu. On estime qu'en Espagne cela rapporte vingt-huit milliards d'euros par an. C'est le premier Produit Intérieur Brut de la Roumanie. Pour ces mafias, c'est aussi intéressant que les armes et les drogues. La lutte contre la traite et la prostitution est une lutte contre le crime organisé. Et il est bien plus intéressant d'avoir une personne prostituée, parce que quand vous vendez des armes, vous les vendez une fois, quand vous avez une femme sur le trottoir, vous l'exploitez vingt à trente ans. Cela rapporte environ 24 000 euros par mois au proxénète. En France, les personnes prostituées viennent des pays de l'Est, de la Chine, (plutôt à Paris), et d'Afrique subsaharienne, en particulier des Nigérianes, qui arrivent aujourd'hui par la Lybie en grand nombre. Il s'agit aussi de rapport entre pays riches et pays pauvres.
Cette loi a nécessité beaucoup de force de conviction, il a fallu convaincre nos collègues parlementaires. Nous n'avons jamais convaincu le Sénat, qui a « retoqué » la loi trois fois, mais comme l'Assemblée Nationale a le dernier mot, nous avons eu le dernier mot. Nous avons eu convaincre contre des idées reçues :
- liée à une méconnaissance de la prostitution que je viens de vous décrire, dues à un certain fatalisme « c'est le plus vieux métier du monde, pourquoi voulez-vous vous attaquer à cela, vous n'y arriverez jamais ! »
- liée à des idées fausses, « un besoin irrépressible des hommes », cet argument-là m’étonne toujours. Dans ce cas on peut aussi autoriser le viol, si les hommes ne peuvent pas se maîtriser... Un autre argument contre la loi , porté par certaines associations, est le risque de fragiliser les personnes en pénalisant les clients, sachant que le délit de racolage les avait abondamment fragilisées et que de toute façon c'est un monde très violent, brutal, et qu'elles ne sont là que parce qu'elles ont été violées et forcées. Nous avons eu beaucoup de médias parisiens contre nous.
Heureusement, nous avions des associations qui ont développé des plaidoyers dans « abolition 2012 », mais aussi des associations d'hommes telles que « zéro macho ». Le gouvernement nous a soutenues, mais il a quand même fallu trois ans pour y arriver car le travail de navette parlementaire a été un peu long. Elle est le fruit d'un travail de terrain, n'imaginez pas qu'une loi sorte du chapeau comme cela, nous avons mené des auditions, écouté, auditionné des « survivantes » et sommes allées à l'étranger pour comparer les systèmes.
Cette loi se décline en quatre piliers, et on la dénature si on ne retient que la pénalisation du client. Elle s'inspire de la loi suédoise adoptée en 1999 qui s'arrête à la pénalisation du client et a donné des résultats, mais nous voulions y mettre trois autres volets.
Le premier pilier est le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, en particulier sur Internet, qui permet la prise de contact. Nous n'avons pas pu aller aussi loin que nous le souhaitions, en particulier à cause de lobbys qui sont intraitables sur la liberté sur le net quel que soit le sujet. Nous avons pu faire comme pour la pédophilie ou le terrorisme, c'est-à-dire que c'est au site hébergeur, si des personnes leur signalent des contenus liés au proxénétisme, de les dénoncer aux autorités. Il y a actuellement une plainte contre Vivastreet, J'espère qu'elle ira jusqu'au bout.
Le deuxième pilier est de favoriser le changement de regard : c'est le plan traite de l'État et le plan contre les violences faites aux femmes 2017-2019 sur l'information et la sensibilisation des jeunes, des professionnels et du public.
Le troisième pilier est la pénalisation du client, pour nous il était normal de s'attaquer à un marché par le client. Les proxénètes sont des hommes d'affaire, donc si cela rapporte moins ils feront autre chose. Baisser la demande, c'est baisser l'offre. Mais par contre nous avons supprimé le délit de racolage et la circulaire d'application est parue dès avril 2016, les personnes prostituées sont des victimes, pas des coupables.
Le quatrième pilier est le parcours de sortie de la prostitution, pour nous le plus important. C'est un très bon outil, mais par sa nouveauté il est compliqué à mettre en place. L'État a pour mission de protéger les victimes de la prostitution, de créer un parcours de sortie avec un suivi social professionnel d'accompagnement des victimes. La commission départementale étudie les parcours de sortie, et le ou la préfet.e donne son agrément qui ouvre un droit à une allocation, l'AFIS. Nous voulions donner le RSA, je pense que ça aurait été plus simple et plus rapide. Les personnes ont aussi le droit à des papiers, une autorisation de séjour avec le droit de travailler. Ces papiers ne sont pas conditionnés par une OQTF, il n'y a pas de restriction. Nice a refusé quinze dossiers dont certains à cause d'une OQTF, mais ce n'est pas la loi. Il est vrai que nous ne sommes pas revenues sur le code du CESEDA, c'est peut-être une erreur, il faudra l'évaluer. Nous savons que cette question de l'authenticité, de l’identité des personnes est compliquée car, dans la plupart des cas, elles n'ont pas de papiers, ou de faux papiers. La circulaire de janvier 2017 demande une attestation d'un consulat avec une photographie. La loi donne aux associations la responsabilité d'être garantes du parcours de sortie de la personne.
S'il y a une réalité de sortie, il n'y a pas d'appel d'air, en réponse à l'inquiétude du ministère de l'Intérieur, qui craignait que les proxénètes ne profitent de la loi pour faire faire des papiers aux personnes exploitées.
Le parcours donne aussi le droit à un logement parmi les publics prioritaires : même si nous n'avons pas créé de logement spécifique. Il faut inventer des solutions, si une association a déjà un hébergement, l'État peut le financer et ne pas en chercher ailleurs. La personne doit bénéficier aussi d'un accompagnement solide, car la sortie de la prostitution, n'est pas un long fleuve tranquille, c'est difficile, l'emprise, les menaces sur sa famille, nécessite qu'elle soit soutenue.
Il faut lever toutes les difficultés, en particulier donner l'accès à la santé ; un rapport de l'IGAS de 2011 sur la santé des personnes prostituées était alarmant. La loi se veut complète, elle n'échouera pas si les quatre volets sont appliqués, sinon elle sera bancale.
Pour que notre loi s'applique maintenant, il faut une volonté politique. En novembre 2017, nous avons écrit avec Maud Olivier, co-auteure de la loi, à Emmanuel Macron, pour qu'il parle de la prostitution dans les violences faites aux femmes pour le 25 novembre., 85% des personnes prostituées sont des femmes et 99% des clients sont hommes, c'est bien une violence de genre. Il n'y a aujourd'hui que trente-sept départements qui ont agréé une association. Il faut éviter la complexification inutile, c'est un mal français, et trouver des solutions pragmatiques. La loi peut être évaluée à partir d'avril 2018 pour faire le bilan et voir les obstacles éventuels. Il faut arriver à en voir les résultats et partager une culture commune. Selon le texte, l'État doit faire un rapport annuel à la commission départementale, sur l'état de la prostitution dans son département. Donc on pourra voir les évolutions. Il y a normalement des moyens financiers dans un fond traite qui est alimenté par les biens prélevés sur les proxénètes quand ils sont condamnés, il faut que ces fonds arrivent sur le terrain. La France s'honore d'avoir voté cette loi, et s'honorera encore plus lorsqu'elle aura réussi à la faire appliquer dans toute son ampleur.
En conclusion :
Nous ne réussirons pas seul.
La France a été le premier pays latin, à la suite des pays scandinaves, à adopter l'abolition, elle est regardée. Elle est membre de Cap International qui œuvre pour l'abolition à l'international, je peux en témoigner. Il faut aussi travailler pour que l'Europe adopte une position commune.
Point d'étape en Nouvelle-Aquitaine
Sophie Buffeteau, DRDFE
Notre objectif, en région et dans les départements, est d'appliquer la loi telle qu'elle a été votée, c'est-à-dire d'agréer une association et de réunir la commission départementale. La loi est très complète avec quatre volets, mais je parlerai ici du volet accompagnement. Il est central et très clair dans la loi, qui a été précisée par des décrets et des circulaires. Mais la mise en œuvre sur le terrain est compliquée, d'autant que c'est un sujet sur lequel nous ne sommes pas forcément habituées à travailler. Il y a donc un travail de sensibilisation important à faire. Notre objectif est bien d'appliquer la loi dans les douze départements de la région, mais à un rythme raisonnable. Les situations sont très disparates d'un département à l'autre. Dans les grandes villes, Poitiers, Limoges et Bordeaux, il y a depuis longtemps de la prostitution de rue, visible. Il y avait donc déjà un réseau d'associations mobilisées sur le terrain, qui travaillent ensemble. On n’a pas de chiffres précis de la prostitution dans la région, c'est aussi un des enjeux de mieux connaître ce phénomène. On sait que l'association IPPO à Bordeaux connaît environ six-cents personnes, à Poitiers on a environ soixante-quinze personnes et à Limoges, ce sont des chiffres anciens, mais il y a entre cinquante et soixante-cinq femmes en situation de prostitution. Dans ces trois départements, les acteurs étaient déjà mobilisés et sensibilisés. En revanche, dans les départements plus ruraux, la prostitution est invisible, et donc on a pu s'entendre dire, au début, qu'il n'y en avait pas. Évidemment il y en a partout. IPPO fait un travail très intéressant sur Internet, et on voit que partout en Nouvelle-Aquitaine, il y a de la prostitution. Toutefois, il n'existait pas d'associations dédiées partout. Nous avons donc organisé une journée de sensibilisation dans tous les départements pour informer sur la nouvelle loi et la réalité de la prostitution, favoriser la rencontre des acteurs, et repérer des associations intéressées par l’agrément.
Sur les associations agréées, on n’a pas encore les douze associations, mais on en a déjà huit, ce qui est bien. En Gironde, c'est IPPO qui a été agréée. Il existait un réseau, le RISP, unique en France, qui permettait aux acteurs de travailler ensemble. Il existe en effet d'autres associations qu'IPPO qui sont mobilisées sur le sujet, elles sont présentes aujourd'hui et je les en remercie. Dans d'autres départements, il y a des associations qui existaient mais qui ne voulaient pas être agréées,car elles ne partageaient pas l'esprit de la loi. Nous avons effectué un travail dans les autres départements pour trouver des associations à agréer. Ce sont souvent des associations mobilisées sur les droits des femmes et la lutte contre les violences : il y a trois CIDFF, en Vienne, Charente et Charente-Maritime, SOS violences conjugales en Corrèze. Ailleurs ce sont des associations qui travaillent avec des publics plus larges mais notamment avec des femmes victimes de violences : le SAFED en Dordogne, l’ARSL en Haute-Vienne, et AEM dans les Landes. Elles ont bénéficié d’une formation de 3 jours dispensée par IPPO. Il reste donc quatre départements qui ne sont pas encore dotés, et une formation est réservée pour les associations qui y seront agréées. Ces associations sont diverses. Pour un certain nombre, elles n'étaient pas encore familières du sujet. Nous avons réalisé une enquête auprès d'elles pour comprendre leurs besoins. Cela n'a pas vocation à être exhaustif. On aurait besoin d'un état des lieux de la prostitution par département. Certains l'ont déjà fait.
Ce qui remonte, c'est la diversité des situations de prostitution, c'est-à-dire que les associations ont rencontré des personnes étrangères arrivées récemment en France, des mères de famille qui cherchent à boucler leur budget, des étudiantes ou étudiants, mais aussi de la prostitution en lien avec des conjoints violents ou en lien avec le trafic de drogue. Il y a aussi une diversité dans les lieux de pratiques de la prostitution : des logements privés, la rue, des salons de massage, des hôtels… La rétribution est variée également : il s'agit d'argent bien sûr, mais aussi de nourriture, d'un logement, ou de l'évitement d'autres formes de violences. Pour l'instant, ce ne sont que des femmes qui ont été reçues, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'hommes qui se prostituent. C'est plutôt un biais des associations agréées qui accompagnent surtout un public féminin. Mais la loi s'applique bien sûr aussi aux hommes en situation de prostitution. Sur les besoins qui ont été identifiés par les associations, il y a un consensus des huit associations pour considérer que la prise en charge est insatisfaisante dans la région. Les aspects à améliorer sont plus divers, cela dépend des réalités territoriales : ce qui revient le plus est la question des papiers et de la régularisation des personnes, puis le logement, l'emploi et le suivi médical. Ce qui remonte aussi est l'énorme nécessité de travailler en réseau et de disposer de personnes référentes à qui les associations peuvent adresser les personnes suivies afin qu'elles bénéficient d'un accompagnement complet.
Parallèlement, l'enjeu pour nous est de mettre les commissions départementales en place. Cela se fait petit à petit. Leur composition est fixée dans la loi. L'idée est de réunir tous les acteurs publics et des collectivités territoriales qui peuvent participer à cette mobilisation. La première commission s'est tenue en avril dans la Vienne. En juin la commission a été installée en Dordogne ; en juillet en Gironde où cinq dossiers pour des parcours de sortie ont été présentés ; en octobre, des commissions ont été installées dans les Landes, en Charente et en Haute-Vienne où deux parcours de sortie ont été proposés ; en novembre dans le Lot-et-Garonne, et en janvier elle sera installée en Corrèze. Actuellement, deux personnes, une en Vienne et une en Haute-Vienne, sont entrées dans le parcours de sortie. Il reste donc quatre départements où la commission n'a pas encore été installée. On apprend beaucoup ensemble. L’État et les associations mais aussi entre les différents services de l’État, car chacun et chacune vient avec ses compétences et son cœur de métier. On apprend aussi sur la manière de présenter les dossiers, sur les pièces à fournir pour répondre aux attentes des membres de la commission. Ce travail est essentiel et constitue une autre façon de faire de la sensibilisation des acteurs de l’État.
Par ailleurs, nous effectuons un travail avec Pôle Emploi. Dans ce qui remonte des associations, pour la réussite du parcours, il y a le besoin de trouver un emploi. Pour qu'un accompagnement adapté soit fourni, Pôle Emploi a fait passer un questionnaire sur la Nouvelle-Aquitaine à ses conseiller.e.s en charge de l'accompagnement renforcé, qui se sont mobilisé.e.s pour répondre au questionnaire. Au cours des trois dernières années, les 190 conseillers ayant répondu ont dit avoir rencontré 43 personnes prostituées, tant dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Ils expriment un grand besoin de sensibilisation, afin de savoir comment réagir. D’ailleurs, près des 2/3, après l'entretien, ont été cherché des informations sur Internet ou auprès de personnes ressources. C'est un travail à poursuivre.
Pour conclure, il reste beaucoup à faire. Ce qui peut nous donner confiance et espoir, c'est le constat de similarités assez importantes avec ce qu'il s'est passé pour les femmes victimes de violences conjugales : c'était un non sujet il y a vingt ans. Un travail de terrain et de sensibilisation a été fait, et aujourd'hui, même s'il reste des améliorations à apporter, il y a un accompagnement territorial fort, le sujet n'est plus nié. On espère que la même chose se déroulera pour la prostitution.
Enfin, sachez que ce colloque fait partie du Tour de France de l'Egalité. Le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause nationale du quinquennat. Des annonces seront faites le 8 mars, et pour les nourrir, nous organisons sur tous les sujets et tous les territoires des ateliers pour faire remonter les bonnes pratiques du terrain, les difficultés et les chantiers à ouvrir. On fera remonter les propositions d'aujourd'hui, afin qu'elles soient prises en compte dans le plan gouvernemental.
II - Prostitutions : de quoi parle-t-on ? De qui parle-t-on ? D'où parle-t-on ?
L'évolution de la perception des prostitutions par la société au travers des débats publics
Lilian Mathieu, sociologue, directeur de recherche au CNRS
Je tiens à remercier l’association IPPO et celles et ceux qui ont contribué à l’organisation de cette journée de m’offrir l’opportunité de présenter quelques éléments de mon travail.
On m’a demandé de traiter des évolutions de la perception sociale de la prostitution et je vais tenter de le faire mais je souhaite au préalable revenir brièvement sur mon statut de sociologue qui, entre autres objets, traite de la prostitution. Je souhaite le faire d’une part car ce statut, et ce qu’il m’autorise ou pas à dire publiquement, a parfois été interpellé ces dernières années. Je souhaite le faire d’autre part car ma discipline elle-même, la sociologie, a été l’objet de controverses récentes et je voudrais profiter de l’opportunité de cette tribune pour expliciter la manière dont je conçois l’exercice de mon métier et les résultats qu’il produit.
Comme vous le savez, il existe différents courants, au sein de la discipline sociologique, qui n’entretiennent pas toujours les relations les plus cordiales. J’aurai dans un instant l’occasion d’en dire un peu plus mais disons que je me situe personnellement, globalement, dans le sillage de la tradition sociologique de Pierre Bourdieu. Pour autant, si je considère que cette tradition offre des outils extrêmement utiles pour la connaissance du monde social, j’ai un léger grief à l’égard de Pierre Bourdieu lui-même, surtout du Bourdieu de la fin de sa carrière, lorsqu’il s’est engagé publiquement en faveur d’une série de mouvements sociaux, comme celui contre le plan Juppé, celui des chômeurs, l’alter mondialisme ou encore dans le contexte de la guerre civile algérienne. Je pense personnellement que ces causes étaient justes et que Bourdieu a eu raison de les soutenir mais, ce faisant, il a contribué à consolider l’image du sociologue comme nécessairement engagé, critique, militant, et par suite l’idée que tout ce que dit un sociologue recèle une dimension critique, procède d’une prise de parti, relève d’une dénonciation, etc. Certains s’en offusquent en dénonçant le discours sociologique comme un point de vue nécessairement déterminé par l’idéologie, mais d’autres s’en réjouissent parce que cela conforte leurs opinions. Personnellement, ces deux attitudes me désespèrent. Je tiens à contester cette lecture normative du travail sociologique. Non, tout ce que ce dit un sociologue n’est pas une prise de position comparable à celle d’un représentant d’une association qui défend son action ou de l’élu d’un parti politique qui promeut un programme — ce qui favorise la confusion, c’est que souvent on connaît plus le sociologue par ses interviews dans la presse que par ses livres ou ses articles dans les revues scientifiques, qui sont effectivement d’une lecture plus exigeante.
Le discours du sociologue, quand il parle en tant que sociologue, relève du constat sur une réalité sociale, un constat qu’il a opéré à partir de données recueillies en mettant en œuvre une méthodologie la plus rigoureuse possible : des entretiens si possible nombreux, des observations si possible longues et répétées, des documents divers et que l’on peut recouper, etc. A partir de ces constats, qui constituent la base empirique de son travail, le ou la sociologue peut s’équiper d’outils analytiques — des concepts, des théories — pour suggérer une interprétation du phénomène qu’il a étudié. Par exemple le constat que les enfants de milieux populaires réussissent moins bien à l’école que ceux de milieux cultivés s’explique par le fait que les parents cultivés peuvent transmettre à leurs enfants, à l’intérieur de la famille, des connaissance et un rapport à la culture qui est valorisé à l’intérieur de l’école, et que la sociologie appellera capital culturel. C’est un constat — validé empiriquement par les études statistiques qui croisent origine sociale et réussite scolaire — qui en soit est neutre. C’est d’autant plus neutre qu’il n’y a pas de volonté plus ou moins occulte au sein de l’institution scolaire de favoriser les uns et de défavoriser les autres ; les inégalités se perpétuent par une série de mécanismes que la sociologie se donne pour mission de mettre à jour. Ces mécanismes produisent des inégalités tendanciellement et non mécaniquement, ce qui fait qu’il est absurde, par exemple, de brandir le cas exceptionnel d’un Edouard Louis pour réfuter cette tendance générale. On peut éventuellement remettre en cause la méthode (la taille de l’échantillon des statistiques, par exemple) mais il n’y a pas là de dimension nécessairement critique. Là où le sociologue peut se montrer critique c’est quand il place le constat de ces inégalités sociales devant le discours officiel de l’école qui affirme que tous les enfants ont les mêmes chances devant la réussite scolaire.
Un sociologue du siècle dernier, Max Weber, avait clarifié cet enjeu en distinguant ce qu’il appelle jugements de faits — le constat que l’origine sociale a une influence sur la réussite scolaire — et jugement de valeur — l’école n’est pas égalitaire et ne tient pas ses promesses de réussite aux familles populaires. Weber n’interdit surtout pas au sociologue d’émettre des jugements de valeur — d’ailleurs lui-même était très investi dans la vie politique de son époque — mais il doit signaler explicitement à quel moment il passe du jugement de fait au jugement de valeur, en explicitant quelles sont les valeurs qu’il estime mises à mal par ses constats.
C’est un très long détour et vous devez légitimement vous impatienter car je ne parle pas de prostitution. J’y viens, pour expliciter la posture que j’essaie de tenir dans mon travail sociologique dans ce domaine. Personnellement, en tant qu’individu, je n’ai guère d’intérêt pour la prostitution. C’est un thème de recherche qui m’a été proposé à un moment de mes études, lorsqu’on m’a invité en 1991 à rejoindre une équipe de recherche sur les transformations de la prostitution à Lyon. Je me suis aperçu que c’est un terrain qui pose un ensemble de questions sociologiques passionnantes et c’est pour cela que j’ai poursuivi mon travail dans cette direction. Mais je peux vous assurer que je n’ai guère de lien affectif à la prostitution — je n’ai jamais été client, à ma connaissance personne de ma famille ou de mon entourage ne s’est prostitué, je n’ai pas d’ami.e.s (ex) prostitué.e, etc. D’une certaine manière, quand je sors de mon bureau, je cesse de penser à cette question qui est pour moi purement professionnelle — ce n’est pas le cas de tous mes objets de recherche.
Tout ça pour vous dire que dans mon travail de sociologue, sur ce terrain de la prostitution, je me contente de livrer des constats empiriquement fondés et d’en proposer des analyses à partir des outils théoriques qui me paraissent les plus pertinents — ce qui n’est pas le cas des gens qui se targuent d’un statut plus ou moins solide de sociologue pour livrer des discours normatifs fondés sur des préjugés appuyés sur des informations sélectionnées uniquement parce qu’elles paraissent conforter un ligne idéologique fixée au départ. De ce point de vue, et je le revendique, je suis corporatiste en ce sens que j’entends défendre la bonne sociologie en disqualifiant la mauvaise. Je ne suis pas un sociologue engagé dans telle ou telle cause ou organisation, et je prends même soin à ne laisser aucune prise à cela. Quelqu’un m’a un jour traité dans la presse de « chantre du travail sexuel » ; cette personne n’a fait ce jour-là que trahir sa sottise, ou peut-être son illettrisme, puisque je n’utilise jamais cette expression qui à mes yeux est une catégorie militante et qui relève donc d’un autre registre que la connaissance. Il aurait suffi de lire mes écrits pour s’en apercevoir.
Mais je dois reconnaître que mon travail m’amène aussi à, par exemple, constater des décalages ou des contradictions entre le discours que tiennent certaines institutions et les résultats des politiques qu’elles favorisent. Ces décalages font partie de la réalité sociale que j’observe et donc les constater et en livrer des interprétations fait aussi partie de mon travail. Évidemment, cela ne fait pas plaisir à celles et ceux dont les pratiques ou projets se révèlent, à l’examen, moins cohérents qu’annoncé mais une simple connaissance, à la fois, des logiques propres au monde de la prostitution et du fonctionnement des institutions — spécialement s’agissant du droit au séjour — laissait présager qu’il n’y aurait pas de ruée vers les parcours de sortie.
Il faudrait aussi que j’éclaircisse les enjeux très médiatisés autour des « excuses sociologiques » et de l’excès de déterminisme dans ma discipline. Je ne veux pas retarder encore le moment de passer au vrai thème de mon intervention mais disons que selon moi, reprocher à la sociologie d’être déterministe, c’est comme de reprocher à l’eau d’être humide. Le propos de la sociologie est de rendre compte des déterminations qui façonnent la pratique des humains : déterminations de genre, de classe, de génération, de niveau d’éducation, de conditions matérielles, etc.
C’est par exemple ce type d’analyse qui permet de repérer qu’effectivement, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’il y a des déterminations de cet ordre que ce sont dans leur grande majorité des femmes en situation de forte précarité économique et sociale qui exercent la prostitution, et que ce sont des hommes disposant d’un minimum de pouvoir d’achat qui achètent leurs services. Savoir cela ne revient pas à excuser qui que ce soit — la question de l’excuse relève de la morale, voire de la justice, mais en aucun cas de la sociologie. Par contre, rendre compte de causalités, repérer des mécanismes qui vont tendanciellement conduire une personne d’une situation A à une situation B, peut permettre d’agir sur ces mécanismes si on souhaite empêcher le passage de A à B. Savoir s’il est souhaitable, et pour qui, d’empêcher une personne d’aller de A à B doit sans doute faire l’objet d’une délibération collective et publique.
La connaissance sociologique est un élément d’information parmi d’autres qui peut permettre d’opérer de tels choix, par exemple quand elle indique que le plus souvent, quand la situation A est la présence de prostituées dans un centre-ville et qu’on envoie la police réprimer le racolage, la situation B la plus probable est le déplacement des prostituées dans des zones périphériques isolées mais pas l’afflux de prostituées aux portes des associations pour s’engager dans des parcours de sortie de la prostitution.
J’en viens maintenant au sujet qu’on m’a demandé de traiter, l’évolution de la perception des prostitutions par la société. C’est une question très vaste, qui si on la prenait au sérieux nécessiterait des compétences d’historien dont je ne dispose pas et un travail de plusieurs années. C’est aussi une question problématique parce qu’elle invite à saisir les évolutions du regard porté sur la prostitution de la part d’une entité difficile à appréhender : la société a un statut ontologique assez indiscernable, c’est par commodité de langage qu’on en parle comme d’une sorte d’être unifié. C’est enfin une question piégée parce qu’elle paraît inviter à mobiliser certaines sources dont la pertinence peut être discutable, à savoir les sondages d’opinion.
A première vue, quoi de plus logique que de se tourner vers les sondages pour connaître l’état de l’opinion sur la prostitution ? C’est d’autant plus logique que les sondages sur ce sujet ont été nombreux ces dernières années, à la fois parce que c’est un sujet qui plaît aux médias, mais aussi à la faveur du débat public qui a abouti à l’adoption de la loi du 16 avril 2016, qui a renforcé cette propension à la publication d’enquêtes d’opinion. J’en ai trouvé effectivement plusieurs, mais je vais en retenir surtout un — non pas parce qu’il serait plus intéressant ou mieux réalisé mais parce que je suis tombé sur le rapport d’étude de l’institut, en l’occurrence l’IFOP, et pas seulement sur l’article qui en a publié une partie des résultats. Là j’ai l’ensemble des résultats et des éléments sur la méthode. C’est un sondage de 2013 pour le magazine Causette. Il est basé sur un échantillon de 954 personnes, représentatives de la population française âgées de 18 ans et plus. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne. Ce sondage nous donne effectivement des informations sur le regard qu’un échantillon de la société française porte sur la prostitution. Ainsi, on apprend que 67 % sont d’accord avec l’idée que se prostituer est dégradant pour les prostituées ; 60 % pensent que les prostituées sont nécessaires pour canaliser les pulsions sexuelles masculines ; 54% que les clients souffrent de misère sexuelle ; 52 % que recourir à la prostitution est dégradant pour les clients ; 51% (49 % pour le contraire) qu’il est compréhensible que pour gagner de l’argent des femmes exercent la prostitution plutôt que d’exercer un métier peu rémunéré. 22 % pensent que la prostitution peut avoir une dimension romantique — donc 78 % d’opinions opposées.
Évidemment un niveau plus détaillé est plus riche d’enseignements, notamment en regard du sexe et de l’âge. Les femmes sont par exemple 73 % à considérer que la prostitution est dégradante pour les prostituées et les hommes 62 % ; les femmes de moins de 35 ans sont 79 % à le penser et celles de plus de 35 ans sont 70 %. Chez les hommes, les plus jeunes sont plus favorables à cette idée (71 %) que les plus de 35 ans (59 %).
Je ne vais pas faire le détail de toutes ces réponses, mais la tendance générale qui se dessine serait celle d’une diffusion des conceptions abolitionnistes qui considèrent la prostitution comme dégradante, condamnable et inutile, avec une telle tendance plus nette chez les femmes mais aussi chez les plus jeunes — ce qui suggérerait une évolution significative des représentations ou des consciences dans un sens favorable à l’abolitionnisme, les « vieilles » conceptions légitimant la prostitution paraissant condamnées à dépérir, comme la prostitution elle-même serait condamnée à dépérir.
Joie dans les rangs abolitionnistes mais qui commence à se tempérer avec la batterie de questions suivante : l’opinion « la prostitution est nécessaire » recueille 12 % d’opinions favorables (hommes : 16%, femmes 9%) ; « elle est intolérable et il faut la faire disparaître » : 13 % (8% hommes, 17% femmes) ; « elle est inévitable mais il faut essayer de la contenir dans des limites tolérables » : 75 % (à peu près égal selon le sexe mais plus d’opinions favorables chez les + de 35 ans que chez les plus jeunes). Sur ce point on a la chance d’avoir une comparaison dans le temps puisque les mêmes questions avaient été posées en 1970 en distinguant hommes et femmes. Les chiffres sont globalement les mêmes s’agissant de la première opinion (la nécessité de la prostitution). L’idée que la prostitution est inévitable et doit être cantonnée dans des limites a beaucoup gagné : chez les femmes de 55 à 74 %, chez les hommes de 59 à 76 %. L’idée qu’elle est intolérable, en revanche, a chuté de 31 à 17 % d’opinions favorables chez les femmes, de 20 à 8 % chez les hommes — ce qui va sans doute désespérer du côté féministe.
Enfin, les solutions politiques débattues : en 2013, 70 % de femmes sont favorables à la réouverture des maisons closes — avec une nette différence (55/77) selon l’âge — et 79 % d’hommes favorables (sans différence selon l’âge). 40 % de femmes sont favorables à la pénalisation des clients contre 24 % des hommes ; 19 % des femmes et 16 % des hommes sont favorables à la pénalisation des prostituées. Cette fois encore, désespoir du camp abolitionniste-féministe puisque ce qui, selon l’opinion publique, reste la meilleure solution aux problèmes que pose la prostitution est la réouverture des maisons closes — sans possibilité d’incriminer le sexisme puisque cette option est favorablement perçue par une majorité de femmes y compris les plus jeunes.
Je vais m’arrêter sur cette opinion favorable à la réouverture des maisons closes. Cette opinion me paraît intéressante précisément parce qu’elle est totalement déconnectée de la réalité des débats contemporains sur la prostitution. Le débat public sur la prostitution est certes très clivé, il voit s’affronter des positions et des propositions très diverses et souvent opposées, mais au moins il y a consensus sur le fait que la réouverture des maisons closes est exclue du débat. Ni le STRASS, ni Médecins du Monde, ni Cabiria ou le Bus des femmes, ni le Nid, ni la Fondation Scelles ou encore Osez le féminisme ou le Planning familial — par exemple — n’envisagent de retourner à la situation d’avant 1946 — et il ne s’agit pas ici d’inventer de nouvelles formes d’établissement puisque le terme « réouverture » suggère de revenir à une forme ancienne.
Les personnes qui soutiennent cette option ne connaissent pas tous les arguments qui font qu’elle est totalement disqualifiée et inenvisageable dans l’état de la réflexion contemporaine sur la prostitution.
Ça me semble intéressant car ça confirme la critique ancienne que Bourdieu adressait aux sondages dans son texte du début des années 1970, « l’opinion publique n’existe pas » : les instituts de sondage posent aux gens des questions qu’ils ne se posent pas, ou qu’ils ne se posent pas dans ces termes. De fait, les opinions rassemblées dans les pourcentages sont hétérogènes et n’attestent que rarement une vraie conviction ou connaissance — en tout cas on peut en douter et rien ne garantit que ces convictions et connaissances soient prédominantes dans la somme des réponses.
Pour une majorité de la population, la prostitution est une réalité lointaine, qu’ils croisent dans des films ou en bordure de route sans s’arrêter ; ils ont d’autres préoccupations au quotidien, n’y connaissent pas grand’ chose, n’ont ni le temps ni la motivation de s’y intéresser. Mais quand on leur pose la question à brûle-pourpoint, il faut bien répondre et on répond ce qui passe par la tête, ce qui semble la réponse la moins problématique. Par exemple qu’il faut rouvrir les maisons closes parce que c’est ce qui se dit quand on en parle, parce que l’idée de « maison » suggère un lieu plus confortable qu’une camionnette, parce que c’est aussi une des questions possibles sur lesquelles les sondeurs leur ont demandé d’opiner — ce qu’on appelle en sociologie une imposition de problématique : « je n’y avais jamais pensé mais puisque vous me suggérez que c’est pensable pourquoi pas ». Les sondages, surtout sur une question aussi complexe, ne sont guère des outils de connaissance parce qu’ils posent aux gens des questions qu’ils ne se posent pas ; ils leur prêtent des opinions qu’ils n’ont pas (au sens qu’ils n’ont pas d’opinion, pas qu’ils auraient une autre opinion qu’ils trahiraient) mais font comme si ils maîtrisaient les tenants et aboutissants de cette réalité sociale.
Sans doute qu’une meilleure option est d’étudier l’opinion à un stade pas aussi diffus et insaisissable mais à l’état comme cristallisé, chez celles et ceux qui connaissent le sujet ou qui prétendent le connaître, et qui ont une opinion puisqu’ils tiennent d’eux-mêmes à la manifester et à l’exprimer publiquement. Un lieu privilégié pour aborder cette opinion véritablement publique ce sont les arènes parlementaires puisque s’y trouve non seulement exprimée une opinion qui compte puisque c’est celle des élus qui font la loi, mais aussi celles de leurs conseillers présents dans divers mouvements, associations ou lobbys qui leur ont transmis des arguments à faire valoir dans le débat parlementaire. Il s’agit bien d’une opinion, mais d’une opinion informée et efficace. Informée parce qu’elle s’appuie sur une série de missions d’informations — spécialement celle animée par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy — qui elles-mêmes ont auditionné un grand nombre de personnalités ou d’organisations disposant d’une expertise sur les questions de prostitution. Elle est aussi une opinion efficace puisqu’elle produit des actes, en l’occurrence l’adoption d’une nouvelle loi.
Je vais donner un bref aperçu de ce qu’une telle démarche peut produire, en me focalisant sur un moment particulier, les trois séances à l’Assemblée nationale du 29 novembre 2013 qui sont le premier examen de la proposition de loi. Ces trois séances ont constitué le moment de discussion le plus riche sur le plan des perceptions et des définitions de la prostitution ; les séances suivantes ont davantage porté sur le contenu de la loi, notamment en regard des modifications qu’avaient apporté les sénateurs.
Mon objectif ici n’est pas de discuter la loi, d’évoquer les arguments qui ont été mobilisés en faveur ou en défaveur des différentes mesures prévues par ce texte, mais d’examiner quelle représentation de la prostitution se dessine au travers des prises de parole des députés.
Une première remarque tient à la date où s’ouvre ce débat parlementaire qui va s’étaler sur deux années : le 29 novembre est quelques jours après la journée mondiale contre les violences faites aux femmes et la rapportrice de la proposition de loi Maud Olivier commence sa première intervention en y faisant explicitement référence, ce qui lui permet d’avancer quelque chose qui restera central pendant tout le débat, qui est l’idée que la prostitution est, en soi, une violence contre les femmes, et que la loi « s’inscrit dans la continuité des lois contre les violences faites aux femmes votées depuis plusieurs années, de la pénalisation des violences conjugales au harcèlement sexuel, en passant par la criminalisation du viol. Tous ces textes ont posé des interdits pour extraire la violence de la sexualité. Il ne manquait plus que la prostitution : nous y voilà. » Comme on le voit à cette citation, la prostitution est présentée comme une thématique nouvelle dans un ensemble ancien et déjà traité de longue date par la loi, qui sont les violences faites aux femmes. Plusieurs autres parlementaires vont répéter cette idée que la prostitution est en soi une forme de violence.
Dire que la prostitution est en soi une forme de violence est une idée sensiblement différente d’une autre qui est elle aussi présente dans le débat, qui est que la prostitution expose à des violences ou est étroitement associée à des violences. Les deux bien sûr ne s’opposent pas mais on passe d’une conception je dirais philosophique — « la prostitution est en soi une violence », c’est-à-dire de toute éternité et quelles qu’en soient les formes concrètes — à une conception plus concrète — l’exercice de la prostitution s’accompagne le plus souvent de violences dont on peut dresser une liste non exhaustive. La ministre Najat Valaud-Belkacem affirme ainsi qu’« avant qu’un client puisse acheter une prestation sexuelle, dans l’une de nos rues ou à la lisière de nos bois, il y a des femmes, et parfois des hommes, qui sont vendus, achetés, échangés, séquestrés, violés, torturés, trompés, rackettés, soumis aux pires chantages – ainsi que leur famille et leurs enfants –, exportés et importés comme n’importe quels marchandises, animaux ou denrées périssables ». Le socialiste Jean-Marc Germain évoque pour sa part les dommages physiques et psychiques inhérents à l’exercice de la prostitution, en se basant sur des témoignages et en recourant à l’anaphore : « Elles racontent l’alcool et la drogue au petit-déjeuner pour supporter l’insupportable. Elles racontent la peur au ventre le matin et le mal au ventre le soir. Elles disent la souffrance des violences, des pénétrations à répétition et souvent des viols. Elles disent les mutilations du vagin et les maladies : MST, VIH, hépatites et autres infections. » La ministre insiste sur la violence pour proposer une explication de l’entrée dans la prostitution qui serait nécessairement contrainte : « Pourquoi tant de violence ? Précisément parce que, si la prostitution pouvait vraiment être exercée sans souffrance et sans répugnance, il serait moins nécessaire d’utiliser de tels moyens ». L’idée suggérée par la ministre est que personne ne peut délibérément et de soi-même s’engager dans la prostitution ; il faut pour cela qu’une force contraignante, passant par la violence, soit exercée sur une personne qui ne peut qu’envisager cette activité avec horreur.
Plus marginalement sont invoqués des facteurs psychologiques :
« On y entre le plus souvent suite à un événement traumatique, quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe.
Près des deux tiers des prostituées ont été victimes, dans leur enfance ou leur jeunesse, de violences à caractère sexuel » (de Courson). C’est un point important car il vient réfuter l’idée qu’il pourrait y avoir un « choix » de la prostitution ; bien des enjeux du débat tournent autour de la réfutation de tout « consentement » à la prostitution, par exemple chez Sylvie Tolmont : « l’argument qui (…) consiste à dire qu’il nous faut distinguer prostitution subie et prostitution choisie n’est pas recevable. Comment imaginer une seule seconde que la prostitution, qui n’est autre que la répétition d’actes sexuels non souhaités et imposés par la contrainte financière, puisse être un choix ? »
Le consentement est un point de crispation du débat mais il en est un autre, qui est la libre disposition de son corps que certains députés opposent à la proposition de loi. Ce principe qui est associé aux anciens combats féministes (spécialement pour les droits reproductifs) est sensible car il s’agit pour les promotrices de la loi de s’inscrire dans la continuité des luttes féministes tout en affirmant une limite à cette libre disposition du corps, qui interdirait d’en faire un usage sexuel marchand : « Les femmes ont chèrement conquis le droit à la libre disposition de leur corps. Ce droit est essentiel et c’est bien sûr un droit sexuel, un droit que je soutiens pleinement, vous le savez. Mais c’est précisément parce que je le soutiens sans faille que je ne reconnais pas le droit à disposer du corps d’autrui et que je réfute de toutes mes forces cette vision archaïque selon laquelle le corps des femmes serait un corps disponible. » (Najat Valaud-Belkacem).
Un des enjeux est ici de dissocier la prostitution de la sexualité : il s’agit de respecter le pluralisme sexuel désormais légitime dans nos sociétés et de restreindre l’intrusion de l’État dans la vie privée des citoyen.ne.s, en dissociant la question prostitutionnelle de celle des mœurs. De sorte que puisque la prostitution ce n’est pas de la sexualité mais de la violence, l’État est en droit d’intervenir : « nous parlons bien de prostitution, d’achat de services sexuels et de proxénétisme, qui sont définitivement – je dis bien : définitivement – sans rapport avec le désir partagé d’une sexualité librement consentie ou de l’épanouissement personnel » (Colette Capdevielle).
Cette dimension des débats dresse aussi un portrait des personnes qui exercent la prostitution. Le premier trait prédominant est qu’il s’agit de femmes : Charles de Courson dit que « 85 % des personnes prostituées sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes ». La mention d’hommes prostitués est parfois faite mais cela reste marginal et le masculin apparaît avant tout la forme des clients sont qui sont eux quasi exclusivement des hommes ; les pourcentages ne vont pas jusqu’à 100 % mais juste en-dessous à la fois pour laisser ouverte la possibilité de femmes clientes (qui ne sont explicitement évoquées qu’une seule fois) et pour insister sur le fait qu’il s’agit d’une part infime de la clientèle de la prostitution. L’autre trait majeur est qu’il s’agit surtout de femmes étrangères, et que cela contribue à renforcer d’autres marques de vulnérabilité, comme y insiste par exemple Maud Olivier : « L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 14 ans.
L’espérance de vie moyenne est de 42 ans. 90 % des personnes prostituées dans notre pays sont étrangères, parlant à peine le français. » Guy Geoffroy ajoute une dimension qui est la crédulité, puisque ces femmes étrangères ignoraient qu’elles allaient se prostituer lorsqu’elles ont engagé leur migration et ont été bernées par leurs passeurs : « Ces personnes, pour une grande partie d’entre elles, croient venir en Occident pour trouver du travail et non pour se prostituer. (…) Il est plus facile pour les réseaux de dire à ces personnes qu’ils vont les soustraire de l’enfer – qu’ils ont eux-mêmes créé – en les emmenant dans les paradis de l’Ouest que de leur dire carrément qu’elles vont se prostituer. » Un autre trait prédominant de la prostituée est sa soumission à des « réseaux » — un terme qui est récurrent — qui présentent eux-mêmes plusieurs caractéristiques : ils sont étrangers, ils sont violents, ils relèvent de la criminalité organisée et ils exploitent les prostituées dont ils organisent la migration et la prostitution pour en retirer des sommes colossales.
Maud Olivier affirme que « la réalité que vivent 90 % des personnes prostituées victimes du proxénétisme et de la traite », c’est « le monde de la violence et l’argent de la traite géré par les réseaux internationaux du crime organisé, dont le chiffre d’affaires s’élève à 3 milliards de dollars en Europe ». L’existence de ces réseaux et la nécessité de les combattre est reconnue par l’ensemble des parlementaires, y compris ceux qui sont hostiles à la proposition de loi, comme Serge Coronado : « Ce que nous partageons, c’est une volonté sans faille de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite. »
Les deux aspects sont étroitement liés, du fait de la proximité des pourcentages invoqués — qui peuvent varier d’un député à l’autre mais qui sont toujours dans le même ordre de grandeur, entre 80 et 90 %. Il y aurait 90 % d’étrangères parmi les prostituées en France et 90 % des prostituées seraient victimes de réseaux, ce qui invite à penser qu’il s’agit des mêmes, et donc que toute prostituée étrangère est victime d’un réseau. L’association des deux réalités est rarement explicite mais elle est quelquefois formulée comme chez Charles de Courson qui dit « la prostitution “traditionnelle” de rue a peu à peu laissé place à de nouvelles formes de prostitution, essentiellement organisées par des réseaux, dont la grande majorité – on dit que c’est presque 90 % – concerne des personnes étrangères, parfois en situation irrégulière. »
Je vais terminer en développant deux points de conclusion.
Le premier est que ce discours, qui est assez homogène, tranche avec des manières passées d’aborder la prostitution. D’une part les parlementaires ont pendant longtemps manifesté une grande réticence à aborder cette question et, lorsqu’ils l’ont fait ponctuellement, au cours de la Ve République, c’était le plus souvent autour d’enjeux sanitaires en évoquant l’opportunité d’un retour au réglementarisme à des fins prophylactiques. Ce thème a disparu, en tout cas de l’imaginaire des parlementaires. Ce débat n’est cependant pas le premier à l’Assemblée nationale, il a été précédé par celui préalable à la loi sur la sécurité intérieure de mars 2003, où des arguments et des chiffres similaires avaient été avancés s’agissant de la part des étrangères et de l’emprise des réseaux de traite des êtres humains.
Ce qui est une évolution sensible dix plus tard, c’est la prééminence de la conception de la prostitution comme violence, qui est évidemment solidaire du projet de pénaliser les auteurs de cette violence intrinsèque.
Ce qui se consolide dans cette évolution, à mes yeux, est la priorité donnée au registre pénal dans le traitement de la prostitution, qui se consolide avec l’invocation d’une prostituée étrangère, en situation irrégulière et dont la migration est illégitime du fait de la tromperie ou de la contrainte.
Second point, la posture du sociologue. J’ai essayé de synthétiser la représentation dominante de la prostitution et des personnes qui l’exercent qui s’est élaborée dans l’arène parlementaire. J’ai fait cet exercice sans intention critique, sans essayer de vous convaincre que tel chiffre invoqué est sans valeur, que tel argument est absurde, etc. Le fait est que l’état des connaissances scientifiques, et notamment sociologiques, ne confirme pas bon nombre de faits avancés dans ce débat mais ce n’est pas ici ma question. Je n’ai pas cherché à démêler le vrai du faux dans ces prises de position car l’enjeu est autre, il est de cerner quelle forme d’existence ces débats et les politiques concrètes qui en sont le produit ont pu conférer à la prostitution. L’existence concrète que vivent les prostituées concrètes ne s’oppose pas à ce que disent les parlementaires sous le rapport du vrai et du faux, ou du réel et du fictif, du concret et de l’inexistant. C’est en invoquant cette figure particulière de la prostituée qu’a été conçue et adoptée la loi du 16 avril 2016 dont les conséquences — en premier lieu pour les prostituées — sont on ne peut plus concrètes et tangibles. C’est sans doute de ces conséquences et de ces effets qu’il convient à présent de parler.
Echange avec le public
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées
J'ajoute que lorsque l'on interroge les Suédois en 1999 sur la pénalisation des clients, 75% sont contre, alors qu'en 2012, ils sont très majoritairement pour. Autre exemple en Norvège, les socio-démocrates avaient annoncé que s'ils reprenaient le pouvoir en 2013 ou 2014, ils abrogeraient la loi d'abolition votée par la droite conservatrice. Ils ont gagné les élections, et avant d'abroger la loi, ils ont eu l'intelligence de mener une étude très approfondie. Il en est ressorti que la loi, quand elle s'appliquait, était une bonne loi, et ils ne l'ont pas abrogée. Arte il y a deux ou trois jours a rediffusé un reportage sur l'aspect extrêmement chatoyant des maisons closes, tous et toutes vous avez envie d'y aller ! Cela paraît une solution parce qu'on en ignore la réalité, la réalité n'est pas une réalité de protection. Nous avons eu ce débat sur prostitution choisie ou prostitution subie. Nous avons refusé de dire qu'il existe une prostitution choisie, y compris lorsque ce sont des femmes sans réseau ni proxénète, car elles le font très majoritairement pour des raisons économiques. On a un exemple très probant qui nous a beaucoup servi pour convaincre le Sénat, c'est le procès du Carlton. Au Carlton, c'étaient des escorts, ça paraissait plus glamour. Elles ont témoigné lors du procès, l'une d'elles a dit « l'assistante sociale allait arriver, le frigo était vide, elle allait m'enlever mes enfants et donc j'ai décidé d'y aller ».
Elle là, elle a témoigné de la violence extrême qu'elle a subie y compris dans des beaux hôtels comme celui du Carlton de Lille. Donc je ne pense pas qu'il y ait une prostitution qui soit une prostitution joyeuse et chatoyante. Nous estimons à 1% la prostitution choisie, délibérée, sans contrainte économique. Donc nous n'avons pas légiféré pour 1%, mais pour la majorité.
Question de l'association La Cimade
Vous avez donné le chiffre de 93% de personnes étrangères, je vais reprendre ce chiffre pour expliquer pourquoi une association qui s'occupe des personnes migrantes est particulièrement concernée par cette problématique. J'ai deux questions que je reprends de l'intitulé du colloque : où en-est-on ? Où va-t-on ? Je me pose la question de la dotation qui concerne l'accompagnement social des personnes prostituées. J'ai quelques informations qui datent d'un mois qui sont un peu inquiétantes, il paraît que la loi de finances de 2018 prévoit une baisse significative de la dotation, estimée à 26,5%. Je voulais donc m'inquiéter auprès de vous pour savoir si cela correspondait à la réalité. Cette baisse aurait été justifiée par le fait qu'on tablait sur quatre-cents parcours de sortie en 2017, et qu'il y en aurait eu trente. De plus, la nouvelle loi prévoit la possibilité d'obtention d'un titre de séjour pour les personnes qui s'engagent dans la sortie de la prostitution, c'est exactement l'article 316.1-1 du CESEDA, et donc je voudrais savoir combien de titres de séjour ont été attribués cette année dans les douze départements de la Nouvelle-Aquitaine. Je termine en donnant une observation : au mois de juin 2017 est sorti le rapport du GRETA qui est une institution européenne qui veille à l'application des traités internationaux sur la lutte contre la traite des êtres humains, donc le protocole de Palerme et le traité de Varsovie. Cet organisme vérifie la manière dont les Etats signataires appliquent ses préconisations. Ce rapport très détaillé fait état d'une hausse très significative du nombre de jeunes femmes africaines victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, et d'une baisse très significative de la moyenne d'âge de ces jeunes femmes.
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées
Sur le dernier point c'est exact, ce sont des rapports qui regardent la situation européenne et d'ailleurs ils disent que les États devraient augmenter leurs politiques de lutte contre la traite, à condition de se coordonner. À Poitiers, je viens de Poitiers, il y a eu un afflux de jeunes nigérianes, mineures probablement, qui passent par la Lybie, dont on sait aujourd'hui le traitement en Lybie qui est abominable. Nous étions favorables à ce que l'on donne le RSA à ces personnes, ça aurait été plus simple. Ce n'était pas possible, on voulait trouver une majorité pour que la loi soit votée, donc on a accepté que ce soit l'AFIS, une aide spéciale qui est de 330 euros pour une personne seule et augmentée si elle a des enfants. Elle est versée par la MSA de la Mayenne, ç'a été long à mettre en place, il a fallu faire des conventions... On m'a dit hier qu'il y avait eu une seule aide versée en 2017. Sur les finances, la ministre Najat Vallaud-Belkacem s'était engagée sur un fond de lutte contre la traite alimenté par l'État et par les biens mal acquis des proxénètes condamnés. Elle avait promis un fond de vingt millions. On était en 2017 à six millions.
Ce qu'il faut savoir, vue la lenteur en 2017 de la mise en place des commissions, il ne s'était quasiment rien passé, donc l'État a récupéré les fonds. En 2017, il y avait une somme prévue pour mille parcours, en 2018, il y aura une somme pour six-cents parcours, ce qui fait six parcours par départements. Ce n'est pas un bon signal pour les associations, et il y a en plus un besoin d'argent hors du parcours pour les associations qui travaillent, qui font des formations. Je demande vraiment que la volonté politique soit traduite par un financement, qu'on peut trouver à l'AGRASC. Sur les papiers, il n'y a pas besoin de porter plainte, ça n'est pas dans la loi. Si elles ont porté plainte c'est un autre dispositif, elles ont des papiers pour plus longtemps. Il faut mettre le moins de freins possibles pour l'obtention des papiers, et je pense qu'il a peut-être un problème avec le CESEDA, donc il faudra un bilan de la loi.
Sophie Buffeteau, DRDFE
Sur le budget, les chiffres de baisse que vous avez donnés sont bons, mais ce sont des chiffres sur 2017. Il y a eu une volonté d'économie du nouveau gouvernement cet été, le budget du ministère des droits des femmes a été amputé de 25%. En Nouvelle-Aquitaine, nous avons un budget de 1,7 million d'euros pour les droits des femmes, et nous en avons fait remonter environ 15%, dont une partie de l'argent qui avait été provisionné pour des parcours de sortie de la prostitution pour les associations agréées, mais qui ne l'ont pas toutes été en 2017. En 2018, nous n'avons pas encore notre enveloppe régionale. Au niveau national, le budget est en légère hausse. Ensuite ce budget sera réparti entre les régions, puis chacune arbitrera la répartition des crédits selon les actions et entre les départements. Nous ne finançons pas les associations selon le nombre de parcours de sortie, ce qui n'aurait pas de sens car elles accompagnent aussi des personnes qui ne souhaitent pas entrer dans le parcours. Dans le questionnaire auprès des associations agréées, nous leur aavons demandé si elles comptaient faire un accompagnement très différent pour les personnes entrant dans le parcours et les autres. La plupart, à ce stade, ne savent pas, mais l'accompagnement, par exemple en matière de santé, tout le monde en a besoin, qu’on soit dans le parcours de sortie ou pas. En revanche, ce qui dépend du parcours de sortie, c'est l'AFIS. Mais c'est un budget national, qui s'ajuste au nombre de parcours de sortie. Sur la question des papiers, il est clair qu'elle est centrale car pour une personne française qui a le RSA, elle peut sortir de la prostitution sans entrer dans le parcours. Ce que l'on constate dans les départements, c'est que ce ne sont que des personnes étrangères sans papiers qui entrent dans ce parcours. Des papiers ont été donnés aux deux personnes qui sont entrées dans le parcours en Nouvelle-Aquitaine pour l'instant. Sur le GRETA, nous les avons reçus à Bordeaux avec IPPO notamment.
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées
Je précise que toute personne, qui veut sortir de la prostitution, peut bénéficier du parcours de sortie, même des personnes françaises ayant le RSA. Dans le parcours, il y aussi l'accompagnement professionnel et médical, donc on voit qu'il peut y avoir aussi des étudiants et étudiantes qui veulent en sortir. Moi j'ai vu une étudiante qui, sans accompagnement, ne serait pas sortie de la prostitution ! Notre loi s'attaque aux réseaux, mais pas uniquement.
Les survivantes s'en seraient sorties plus vite si elles avaient pu bénéficier du parcours.
Sophie Buffeteau, DRDFE
Bien sûr, toute personne qui souhaite sortir de la prostitution peut entrer dans le parcours. Ce que je voulais dire c'est que pour l'instant, les dossiers qui sont présentés sont ceux qui semblent les plus urgents, et que donc ce sont des personnes étrangères. La question est de savoir si les parcours de sortie vont donner lieu à la création d'un accompagnement renforcé.
Emmanuel Sorbé, psychologue
La difficulté pour mettre en œuvre cette loi n’est-elle pas liée à la difficulté de se saisir de toutes les questions liées à la prostitution dans les débats publics ? On ne parle que des violences et de la traite, comme si la prostitution n’était pas une question plus large, une question à part entière. Il y a un flou qui persiste sur l'application de la loi malgré la bonne volonté des services déconcentrés.
Lilian Mathieu, sociologue
Quel est le principal problème, la prostitution en elle-même ou ce qui peut lui être associé ? Je rappelle la diversité des situations des personnes prostituées. La prostitution est une composante souvent centrale de l'existence précaire de personnes, mais qui n'est pas exclusive des autres. Quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet, la question de la toxicomanie était très présente. Dans l'accompagnement des personnes prostituées toxicomanes, on s'est rendu compte que le problème principal était la toxicomanie. En effet au milieu des années 1990, beaucoup de personnes ont arrêté de se prostituer grâce à la mise en place de la méthadone. Les gens n'avaient donc plus besoin de tapiner pour acheter de la drogue. Je ne dis pas que la méthadone est la panacée, la suite l'a montré, mais en tout cas on pouvait lutter contre la prostitution sans agir sur la prostitution elle-même. Avec la question du droit du séjour, on est dans un questionnement de cet ordre-là, c'est-à-dire quel le levier d'action principal, est-ce que c'est la prostitution ou est-ce que c'est un certain nombre de difficultés qui lui sont associés telles que l'accès au logement, les papiers etc. ? Je pense que c'est là que la coopération entre les associations intervient, et je suis très sensible à ce que ce soit La Cimade qui l'ait souligné en premier, est importante.
Un habitant du quartier
Comme vous l'avez dit, il y a une souffrance de ces dames, on est d'accord, par contre il y a aussi la souffrance des habitants. Sur la petite place qui est ici, nous arrivons à compter une vingtaine de prostituées. Dans notre association, nous nous occupons de solidarité, la création par exemple d'un jardin partagé, et la prostitution n'est pas notre cœur de métier. Dans le lien social, il y a une souffrance des habitants.
On a une population assez vulnérable dans le quartier, et quand à partir de dix-huit heures on ne peut plus sortir, on ne peut plus laisser une jeune fille seule le soir...parce que ce ne sont pas les dames qui sont dangereuses, ce sont ceux qui viennent les voir. Si vous regardez les plaques d'immatriculation des voitures, c'est un véritable tourisme sexuel qui vient de partout dans la région.
La loi doit pénaliser les clients, on parle de six-cents prostituées sur Bordeaux, lors d'une réunion avec les élus et la police, on nous a dit qu'il y a eu cinquante procès-verbaux établis depuis le mois de janvier. C'est ridiculement bas pour six-cents prostituées ! Alors, quels sont les moyens que l'on donne à la police nationale pour intervenir ? Tous les matins vous regardez, il y a des dizaines de préservatifs dans les rues. Il suffit que la police vienne une fois pour dissuader les gens et assécher la demande pour les trafics. Quand je suis arrivé il y a une quinzaine d'années, il y avait trois ou quatre prostituées, maintenant c'est une vingtaine. Donc au drame de la prostitution on ajoute un autre drame, celui des habitants. La loi dans l'esprit est excellente mais son application à ce jour est catastrophique, alors que la situation empire.
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées
Il y a en effet une hausse de la prostitution, et il faut une volonté du procureur et du directeur de la police pour verbaliser, donc la pénalisation des clients est très variable d'un département à l'autre. A Lyon, le directeur de la police s'est vanté dans un journal de ne pas appliquer la loi, ce qui est un peu moyen. Là où j'exonère un peu la police, c'est que nous sommes arrivées avec cette loi au moment où il y a eu le terrorisme et Vigipirate, qui ont provoqué une surcharge considérable de la police pour la surveillance du territoire. Donc je comprends aussi que le ministre de l'Intérieur ait dû donner des priorités pour la protection des citoyens face au terrorisme. Mais oui on peut dissuader en passant. L'objectif est vraiment de dire que le fait d'acheter un acte sexuel est interdit.
L'habitant du quartier
J'ai rencontré la police, je sais bien que la situation n'est pas simple, mais si l'on vote des lois et que l'on ne donne pas moyens pour les appliquer, on vote des lois pour rien. Ce n'est pas la vocation de mon association de m'occuper de prostitution, mais ça se passe mal ici, des gens veulent faire des patrouilles parce qu'ils ne sont pas aidés, et un jour il y aura un problème, il faut agir avant. Il faut sortir ces femmes de là et nous rassurer.
Emmanuel Sorbé, psychologue
Votre prise de parole soulève, au-delà de l'application du volet de la loi sur la pénalisation, la question de la place des prostituées dans le paysage urbain et plus largement dans la société. Si la souffrance des riverains est réelle, vous avez aussi conscience que vous avez devant chez vous des personnes qui sont en souffrance, et je vous remercie de l'avoir rappelé.
Un membre du centre social de Bègles
Comment cela se passe-t-il pour obtenir un parcours de sortie ? Faut-il aller demander les papiers en préfecture ?
Sophie Buffeteau, DRDFE
Non, ce n'est pas une simple déclaration en préfecture. Il faut que la personne se mette en relation avec l'association agréée. Le parcours de sortie dépend aussi d’un engagement de sortie de la prostitution, qui fait l’objet d’un accompagnement par l'association. L'association présente le dossier à la commission départementale ; elle explique le parcours de la personne et ses motivations, et ensuite, les membres de la commission donnent un avis favorable ou pas. La commission est composée des forces de l'ordre, du service des étrangers, d'un médecin, de la DIRECCTE, des collectivités territoriales etc. Sur la base de cet avis, le préfet accorde ou pas le parcours de sortie pour six mois, qui est renouvelable jusqu'à deux ans maximum.
Question du public
Donc l'accès au parcours de sortie est un droit, mais du coup, quels sont les critères pour y accéder ?
Sophie Buffeteau, DRDFE
Je ne dirais pas que c'est un droit. C'est de la responsabilité du préfet d'accorder ou non le parcours. Les critères ne sont pas définis très précisément. Le préfet se base sur l'avis de la commission. Chaque membre représente son institution et émet un avis. Donc, la question est comment chacun et chacune émet un avis au nom de son institution, sur quelle base ? Nous devons encore travailler là-dessus. On réfléchit aussi à ce que les associations doivent présenter à la commission, de quoi les membres ont besoin pour se prononcer.
Question du public
Et après deux ans de parcours, que se passe-t-il ?
Catherine Coutelle, présidente de l'association des anciennes députées
La durée de deux ans n'est pas du fait du législateur, mais fait partie du décret d'application. Ce que l'on souhaite, c'est qu'au bout de deux ans, la personne ne soit plus dans un parcours, qu'elle soit sortie de la prostitution. Elle sera toujours suivie par les associations, mais elle aura une activité professionnelle et un logement. J'ai bien conscience que deux ans c'est court, mais les associations n'auront pas disparu d'ici là. Le parcours de sortie est lié à la commission départementale. Sur le titre de séjour, si elle a un travail, on doit pouvoir prolonger son titre de séjour. J'espère un peu de souplesse sur ce sujet-là.
La Cimade
La notion de la durée est importante pour ces jeunes femmes qui sont migrantes. Leur grand problème est d'avoir accès aux droits, à un emploi et surtout à un droit de séjour. Si d'emblée on leur dit que ce droit au séjour peut être remis en question, ça va être très dissuasif. Cela rejoint le problème de la politique migratoire. Si elles sont là, c'est pour des motifs économiques, elles veulent une vie normale. Il y a cette extrême vulnérabilité, on ne peut pas laisser cette question dans l'opacité.
Les enjeux des représentations à l'œuvre
Emmanuel Sorbé, psychologue
En écoutant les interventions ce matin, sur les aspects légaux et sur ce qui a pu traverser les débats autour de la prostitution, il m'a semblé entendre beaucoup de représentations.
De quoi parle-t-on quand on parle de représentations ? Je cite Boris Cyrulnik qui rappelle que « l'expérience vécue, la connaissance intellectuelle marquent leur empreinte sur notre appareil à percevoir le monde. Notre représentation intellectuelle du monde peut nous gouverner jusqu'à nous rendre aveugles à tout ce qui n'est pas compris dans cette représentation ».
Je reprendrai ensuite une interrogation de Pierre Coutelle autour d'une phrase du peintre Paul Klee : « vous savez le peuple manque ». Pierre Coutelle s’interroge « Qui est ce peuple à la fois si présent et si absent que l'on invoque aujourd'hui ? ».
En effet, qui est ce peuple de prostituées ? Est-ce celui que loi veut protéger d'une exploitation économique et sexuelle, organisée ou non par des réseaux internationaux ? Est-ce celui que l'on veut reconnaître comme victime d'une histoire et d'une culture encore profondément machiste et à ce titre souvent violente et discriminante ? Est-ce celui devant lequel vous passez dans la rue un peu gênés, un peu coupables et parfois un peu aveugles, devant ces corps au travail qui nous rappellent peut-être une part obscure et animale d'une sexualité que nos sociétés tentent de policer, peut-être pour mieux s'en protéger ?
Les représentations confondent prostitution et personnes prostituées. A ce titre, elles peuvent envahir notre imaginaire et notre regard, jusqu'à nous conduire à des postures idéologiques tranchées, voire clivées. Ces positions fussent-elles légitimes idéologiquement, risquent de congédier la personne même, dans toute la complexité de son histoire, de son parcours, de ses déterminants sociaux, culturels, affectifs, de son désir et de ses aspirations.
Interroger nos représentations, c'est se garder du risque de s'emparer de l'histoire individuelle inaliénable de la personne pour en faire l'objet de la justification d’une construction idéologique dans laquelle la personne singulière disparaît comme sujet. Parle-t-on alors de la prostitution ou de la personne prostituée ? Le diable se cache souvent dans ces détails : Ce que je vous décris là ressemble étrangement au processus d'exploitation souvent observé dans le système prostitutionnel. Ces mêmes processus d'instrumentalisation ont été décryptés par Foucault dans son histoire de la sexualité mais aussi dans ses travaux sur l'enfermement et la prison.
D'où parle-t-on ? J'ai pu observer ces questions au travail auprès d'une équipe pluridisciplinaire dans ses activités d'accompagnement et d'aide à l'insertion en proximité des personnes prostituées. J'ai également accompagné ces professionnels (médecins, travailleurs sociaux, juristes, psychologue, socio-esthéticienne) dans leurs fonctions d'information, de sensibilisation et de formation. Je tiens à souligner combien l'expérience acquise par cette équipe depuis plus de dix ans mérite, par sa richesse et sa qualité, d'être prise en compte pour nourrir une réflexion approfondie …
Dans ce cadre, interroger nos représentations professionnelles et personnelles nous amène à rencontrer, au sens propre du terme, la personne prostituée dans la rue, sur Internet ou dans un accueil protégé. Rencontrer dans toute l'acceptation de son terme, j’insiste…. Ce travail sur les représentations permet à des professionnels d’écouter et d’entendre (ce n’est pas la même chose…) ce que la personne peut et veut dire de son histoire et de sa situation, ailleurs, autrement, différemment de ce que l'on peut attendre lorsque l'on présuppose cette histoire et cette situation. Par exemple j’évoque le souvenir de Florian, 26 ans, trois ans de prostitution qu'il présente comme un recours économique, avant de me confier : « me prostituer a libéré mon corps, m'a permis de vivre enfin ma sexualité, je veux faire autre chose dans ma vie, mais j'aime ce que je fais quand je me prostitue ».
Quelles représentations cela vient-il interroger chez nous ?
Autre exemple : Rosa, originaire d'Afrique subsaharienne. Je sais, pour en avoir entendu parler en équipe, combien son parcours de migration organisé par un réseau auquel elle a payé une dette exorbitante, a été violent, émaillé de viols, de périodes d'esclavage dans les pays qu'elle a traversés. Son corps en porte les stigmates dont le médecin aborde doucement la prise en charge avec l'aide de la socio-esthéticienne. Rosa déclare : « je veux un travail normal, des papiers, un mari, des enfants. Jamais je ne voudrai revenir en arrière au pays, si j'étais restée là-bas, ma vie aurait été bien pire, je serais morte sans doute. Si c'était à refaire, je le referais. »
Quelles représentations avons-nous, avez-vous face à ces positions de personnes prostituées elles-mêmes ?
J’évoque encore Alicia, présumée mineure, repérée dans la rue par l'équipe d'IPPO, qui a fait l'objet d'une hospitalisation en psychiatrie. L'équipe soignante du service hospitalier, très désarçonnée par cette activité prostitutionnelle, diagnostique un délire paranoïaque. En cherchant les origines de ce diagnostic, nous nous rendons compte qu'il a été fait sur la base d'un récit, celui du « juju », par lequel le réseau nourrit une menace sur la vie de la personne exploitée et de sa famille. Quelles sont les représentations convoquées, pour une équipe soignante, en France, face à des manifestations d’angoisse dont la forme culturellement très marquée renvoie à un imaginaire souvent étranger à une clinique occidentale?
Ahmed, originaire d’un pays du Maghreb, travesti, se prostitue pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille : il reconnait que la prostitution lui permet de vivre une sexualité déculpabilisée, et une forme d'identité, pour reprendre ses propres termes, inimaginable dans son pays et sa culture d’origine. Quelles représentations avons-nous du travesti en Occident ? Quelles représentations Ahmed a-t-il de son propre travestissement et de son activité prostitutionnelle ?
Mettre au travail ces questions conditionne bien évidement la forme et la qualité d’un accompagnement, le permet et permet à la personne de s’y inscrire dans sa singularité reconnue. C’est un moteur puissant pour nourrir une rencontre, une relation respectueuse et créative.
La question des représentations concerne tous les professionnels qui accompagnent les personnes prostituées : les médecins, par exemple, dans leur pratique de soins et plus largement les équipes dans leur pratique de prévention du V.I.H. et des M.S.T. Les personnes ayant une activité prostitutionnelle appartiendraient-elles à une population à risque ?
Ce raccourci, trop largement partagé bien que jamais vérifié dans les statistiques, renvoie à une représentation hygiéniste ancienne et discriminante…Une lecture attentive des données épidémiologiques montre en effet combien les facteurs de prise de risques sont ceux qui fragilisent une personne dans ses choix, son libre arbitre, son niveau d’information et son autonomie psychique, physique et affective. Ces déterminants ne sont pas systématiquement liés à une activité ou à l’appartenance à un groupe social…
Dès lors, interroger ces représentations permet aux équipes en charge de la prévention de travailler efficacement sur une information soutenue et adaptée aux personnes, à leurs pratiques (qui nécessitent d’être connues car très différentes d’une personne à l’autre) à leurs déterminismes culturels et sociaux. Si le dépistage fait partie des propositions et des incitations, la singularisation de son accompagnement et son adaptation à une population très marginalisée dans les représentations collectives conditionnent une prévention réelle, efficiente et non discriminante.
La question des représentations se pose aux institutions sociales : quels dispositifs peuvent être développés et soutenus pour s’éloigner de réponses systématisées, rapides, non adaptées aux caractéristiques d’une population située au carrefour de tant d’impensés individuels et collectifs, au croisement des problématiques de l’émigration, de l’exploitation, de la sexualité, du statut économique et social ?
Les représentations à l’œuvre concernent enfin les responsables et élus politiques. Je me réjouis qu'en France l'on se mobilise pour l'égalité hommes-femmes, pour la lutte contre les discriminations, les violences faites aux femmes, l’exploitation et la traite humaine…. Mais comment ne pas faire de ces luttes de simples slogans qui ignorent la réalité complexe des êtres qu’ils concernent ? Oui, la violence et la traite des êtres humains sont bien présentes dans la prostitution.
Mais j'attire votre attention sur les risques, à ne pas interroger nos représentations, d’ignorer la part du désir et des aspirations des personnes prostituées et de les instrumentaliser ainsi dans une position de non reconnaissance de sujet et de citoyen.
Je vous remercie pour votre attention.
III - A la rencontre des personnes prostituées
« Mon corps/ma cage », projection du film de la compagnie TêteAcorps
Céline Agniel, Co-créatrice du projet
Je vais vous parler de notre projet. Il s'agit d'une œuvre collective, mettant en scène des femmes victimes de la traite humaine et des habitants et habitantes de Poitiers. C'est un projet que je qualifierais à la fois d'artistique et de solidaire. Il est né à l'initiative d'Emma Crews, comédienne et danseuse, qui est venue me voir un jour pour me décrire ce qu'elle faisait. Elle aidait les femmes sur les trottoirs de la ville, et l'une de ces femmes, sachant qu'elle était comédienne, lui avait dit qu'elle voulait pouvoir en témoigner dans un spectacle.
J'habite avenue de la libération à Poitiers, et donc j'ai des femmes qui se prostituent de chaque côté de ma porte. J'ai évidemment tout de suite accepté de participer au projet. Nous sommes parties avec l'idée qu'il fallait qu'il y ait du lien qui se fasse à l'intérieur de ce projet, en mettant en scène ces femmes et des habitants de la ville. On a monté ce projet sur deux ans, de 2015 à 2017, avec trois volets : le premier sur la relation à soi, le deuxième sur la relation à l'autre et le troisième sur la relation au monde. Cela a donné lieu à trois représentations théâtrales différentes.
Nous avons démarré en septembre 2015 sous forme d'ateliers hebdomadaires. On est allées dans les rues la nuit pour convaincre des femmes de participer au projet, et nous avons fait le même travail avec des habitants et habitantes volontaires. On a commencé à travailler à partir de leurs histoires, avec un travail d'improvisation. L'important était de veiller à ce qu'elles ne retrouvent pas leur propre rôle, donc ce sont les habitants qui ont joué le rôle de prostituées. Les personnes prostituées ont pris un malin plaisir à jouer des policiers ou des médecins. L'important était de les mettre en jeu avec tout ce que cela peut avoir de ludique mais aussi de distance.
En juin 2016, le premier spectacle s'est joué en plein air, le soir tard, sur la relation à soi, et donc sur la question de l'emprise du « juju », sur leur nécessité de fuir le Nigéria, la pauvreté et la violence qui est parfois bien pire que ce qu'elles peuvent vivre aujourd'hui, et sur l'impact de la prostitution sur leur santé physique et psychique. Le deuxième volet s'est joué au musée Sainte-Croix à Poitiers sur la relation au client et la réalité brute du trottoir. Le choix du musée s'est fait parce qu'on travaillait la question de la femme-objet, il y avait quelque chose de très archaïque là-dedans, ce qui renvoie à l'idée que c'est le plus vieux métier du monde. Le troisième volet a eu lieu en juillet 2017 sur la relation au monde.
On a voulu ouvrir vers quelque chose de plus utopique, en travaillant sur comment se déprendre des réseaux, sur le rapport à la loi, pas forcément celle du 13 avril 2016, mais aussi le fait qu'elles pouvaient se retrouver victimes de rafles parfois car elles peuvent être soupçonnées de proxénétisme, la frontière entre prostitution et devenir une « mama » est parfois très mince.
Ces performances ont réuni 580 spectateurs, qui ont été très touchés, assez choqués par cette réalité-là. Beaucoup nous ont dit que ça avait même bouleversé leur regard, qu'ils les voient maintenant davantage comme des personnes, comme des femmes. Elles-mêmes ont pu observer un changement de regard plus bienveillant de certaines personnes.
Ce projet leur a permis de sortir de leur isolement, de créer du lien entre elles, car tout est fait pour qu'elles soient isolées, elles ne parlent pas français et on les sépare les unes des autres. Nous avons aussi créé du lien avec les habitants, de toutes origines, qui étaient une vingtaine. Cela a donné lieu à la création d'une association qui s'appelle les ami.e.s des femmes de la libération, qui compte quinze bénévoles et cent membres. Le projet a transformé le regard de ces femmes sur elles-mêmes, leur a peut-être permis de devenir actrices de leur propre vie. Il y a eu vingt-deux femmes victimes de la traite qui ont participé, douze ont joué sur scène, la plupart aujourd'hui sont dans une démarche de sortie. L'une d'entre elles est la première à bénéficier d'un parcours de sortie en Nouvelle-Aquitaine, mais sur le papier, c'est-à-dire que de manière effective il n'y a rien encore pour cette femme à cause de l'impossibilité d'obtenir une preuve de son identité qui puisse être délivrée par le consulat du Nigéria. On espère qu'il y aura une suite.
Échange avec le public
Question de Stéphanie de l'association Les Captifs de la libération
Ma question porte sur les papiers et l'identité. La racine du problème est là, c'est là qu'on doit se focaliser, les remettre en confiance pour qu'elles osent témoigner et leur garantir de les protéger et de leur redonner une existence avec de nouveaux papiers.
Martine Jaubert, Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE)
Un titre de séjour ne peut être établi qu'avec la nationalité et l'identité véritables de la personne. La loi ne dit pas qu'on peut donner un titre de séjour à une personne qui n'a pas d'identité établie. C'est une question d'ordre public.
Stéphanie, de l'association Les Captifs de la libération
Il y a un quiproquo, le consulat nigérian ne donne pas les papiers en fait, on a besoin de l'état civil nigérian. L'association établit la bonne foi de la personne, ensuite il faut que le consulat soit assez ouvert.
Valérie Lamarche, Déléguée Départementale aux Droits des Femmes et à l’Egalité (DDFE) de la Vienne
Il s'agit du cas de la personne de la Vienne. Sur les quatre parcours, un a été accepté par la préfète. La personne bénéficie de l'accompagnement du CIDFF et de l'association des ami.e.s des femmes de la libération. Catherine Coutelle a bien dit qu'ils n'ont peut-être pas été au bout de la loi par rapport au CESEDA. Or pour toucher l'AFIS, il faut le titre de séjour.
Cela pose problème car la personne a eu de l'espoir en étant acceptée dans le parcours, mais elle se heurte à ces obstacles. Florence Briol a rencontré le consul et la préfète a écrit un courrier au consulat nigérian.
Florence Briol, présidente du Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) de la Vienne
La difficulté vient de la circulaire du ministère de l'Intérieur qui précise que si on n’a pas la carte d'identité ou le passeport de la personne, il faut demander à l'ambassade du pays concerné une attestation de son identité. Le consul a accepté, en demandant le lieu et la date de naissance des parents de la personne. Mais comme tout le monde n'enregistre pas les bébés là-bas, on a le risque de ne pas avoir de trace. Je suggère que ces démarches se fassent directement avec le ministère des Affaires Étrangères plutôt que par les associations qui demandent de manière répétée des rendez-vous avec les consulats.
Emmanuel Sorbé, psychologue
Cette question renvoie aussi au rôle des commissions, qui ne doivent pas seulement instruire les dossiers mais aussi améliorer l'accompagnement des personnes prostituées dans le département. Ce n'est pas la responsabilité d'une association mais bien d'une commission qui anime cette politique dans chaque département.
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Sur les papiers, nous suivons des Nigérianes, si elles n'ont pas donné leurs empreintes au Nigéria, elles peuvent faire une demande de passeport auprès du consulat du Nigéria à Paris. Le Consulat peut aussi leur délivrer une attestation de nationalité moyennant argent pour avoir des papiers ensuite.
Si elles ont fait une demande d'asile ou sont inscrites à Pôle Emploi sous une fausse identité, il faut prouver qu'elles ont été victimes de traite et/ou d’exploitation sinon elles peuvent être accusées de fraudes à l’identité et ainsi devoir rembourser toutes les allocations qu’elles ont perçues.
Hélène Alidjra, Cheffe de service Égalité-Vie Associative-Solidarité Direction Sports-Vie Associative- Égalité, Nouvelle-Aquitaine
Je tiens à souligner l'importance des spectacles réalisés, j'ai vu les trois, ce sont des performances très difficiles à voir, il y avait des personnes en larmes, des échanges intenses de regards entre les gens dans le public. L'approche artistique complète le travail technique, juridique et administratif que l'on fait.
Céline Agniel, co-créatrice du projet « Mon corps/ma cage »
Ce projet a déclenché beaucoup de choses, nous avons eu un mois de résidence de création avant les représentations, les douze actrices sont presque toutes dans des démarches de sortie de la prostitution. L'association créée ensuite a très peu de moyens, à part le don des membres. On nourrit, loge, donne des cours de français et d'alphabétisation aux personnes nous-mêmes.
Valérie Lamarche, DDFE de la Vienne
Je rappelle que le projet a reçu des aides aussi de la DRAC, de la DDFE, et de Madame Coutelle via sa réserve parlementaire notamment. L'association des ami.e.s des femmes de la libération peut faire un dossier de subvention pour 2018.
Céline Agniel, co-créatrice du projet « Mon corps/ma cage »
Les dossiers demandent beaucoup de travail administratif aux bénévoles, pour l'instant on agit dans l'urgence, une bénévole loge deux femmes dans sa propre maison.
Emmanuel Sorbé, psychologue
Quelle a été la volonté et la facilité ou non de participer à une mise en scène des corps pour des personnes prostituées ?
Céline Agniel, co-créatrice du projet « Mon corps/ma cage »
En fait, nous sommes parties de là, comment on peut leur restituer leur propre corps, alors qu'elles n'ont parfois pas leur schéma corporel. Il s'agit de ne plus être un corps-objet mais de devenir un corps acteur, actant voire politique. Elles retrouvent leur corps par le rôle.
Le travail auprès des personnes prostituées sur Internet
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
J'ai travaillé sur un projet d'accompagnement des personnes prostituées via Internet à partir des travaux de recherche d'Eva Clouet et à partir de l'expérience d'associations dont Grisélidis. Les lois sur l'immigration, les modifications des paysages urbains peuvent entraîner davantage de clandestinité chez les personnes qui se prostituaient dans la rue, et une évolution de la prostitution vers Internet. La solitude, la vulnérabilité, la prise de risque au regard de propositions de relations sexuelles non protégées tarifées, ont aggravé une situation déjà à risque. Il nous a semblé essentiel d'aller vers les personnes concernées et de leur proposer nos compétences.
Ce projet est d'envergure régionale, cofinancé fin 2014 par l'ARS et la DRDFE Aquitaine. Alors qui sont ces personnes ? Quelles représentations ont-elles de leur situation de prostitution ? Quelles sont les difficultés qu'elles rencontrent en matière de prévention ?
Myriam Keghida, chargée de mission à IPPO
Je travaille à IPPO depuis six ans. Je reprends Catherine Coutelle qui a dit ce matin qu'il n'y a pas de prostitution sur Internet, ce n'est qu'un moyen de contact. C’est vrai et il est parfois très compliqué pour nous de rentrer en contact avec ces personnes. Depuis début 2015, notre démarche poursuit quatre objectifs principaux :
1. rompre l'isolement,
2. améliorer la prévention des IST et la santé globale en nous basant sur la définition de l'OMS qui dit que « la santé est un état de bien-être complet physique, mental et social, et ne constitue pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité »,
3. accompagner les personnes victimes de réseaux d'exploitation ou de traite, et
4. améliorer nos connaissances sur cette forme de prostitution en plein essor.
Nous avons une équipe pluridisciplinaire : quatre travailleurs sociaux, une psychologue, une juriste, un médecin et une socio-esthéticienne.
Nous avons effectué des tournées virtuelles. Qu’est-ce qu’une tournée virtuelle ? C’est un temps d’environ 2 heures, pendant lequel 1 ou 2 membres de l’équipe vont chercher sur Internet des sites d’annonces d’escorts, des sites de rencontre, dans les rubriques « érotica » par exemple et sélectionner des annonces.
Au départ on a travaillé sur la région Aquitaine, et à partir de 2016 sur la région Nouvelle-Aquitaine. On utilise tous les moyens de communication proposés pour contacter la personne, téléphone, chat, Skype, email... On échange avec elles en anglais, français, espagnol. Parfois les personnes n'ont pas le temps ou ne souhaitent pas discuter, on essaie de capter très rapidement leurs besoins et de leur proposer un rendez-vous avec des professionnels adaptés à leurs demandes. On envoie aussi nos contacts par SMS pour celles qui ne peuvent pas nous parler dans l'immédiat en espérant qu'elles le pourront par la suite. On se fait souvent renvoyer « raccrocher au nez » et il faut parfois rappeler la personne plusieurs fois pour passer les barrières.
On a effectué environ 250 tournées, contacté 1130 personnes, majoritairement des femmes, européennes, 70% ont moins de 35 ans, et parmi elles 28 personnes ont accepté de lever l'anonymat et sont venues nous rencontrer à l'association, certaines sont toujours suivies. Ces données dépendent des sites choisis et des annonces sélectionnées, car certains sites sont réservés exclusivement aux hommes, ou aux femmes d'un certain âge etc.
Je vous montre ici l'exemple d'une annonce intitulée « belle blonde très sexy » :
La photographie est importante car elle peut être masquée ou pas, les personnes à visage découvert prennent un risque mais cela permet aussi d'avoir plus de clients.
Dans l'annonce sont précisées les pratiques : accepte tout, domination, massage, no limit...
Elles donnent des informations sur le lieu et les horaires de pratique.
Certaines parlent de tournées. Nous constatons aussi des tactiques pour attirer des clients, en disant par exemple « je suis nouvelle dans la région » pour ceux qui aiment les nouvelles, alors que ce n'est pas forcément vrai.
Le terme outcall signifie que la personne travaille à l'extérieur de chez elle, incall, qu'elle travaille à son domicile.
On a des informations sur l'expérience de la personne : escort professionnelle, escort de luxe, escort boy, occasionnelle, étudiante, débutante, masseur...
Elles donnent aussi des informations sur l'origine et/ou pas la nationalité pour être plus attractives. Des informations sont également données sur l'âge : une grande majorité sont jeunes, mais c'est aussi une stratégie de gens qui se rajeunissent, ou de mineures qui se vieillissent.
Il y a des renseignements sur les tarifs, mais de moins en moins car les sites peuvent être condamnés pour proxénétisme. Le prix est parfois donné en nombre de roses, une rose équivaut à un euro.
Certaines escorts ont leur propre site internet, ce sont des professionnelles.
On constate aussi des pratiques commerciales : il y a tous les jours de nouvelles annonces, donc elles payent environ deux-cents euros par semaine pour apparaître à la première page (en premium).
On a enfin l'avis des clients, qui donnent des indications parfois très crues, et qui peuvent être réutilisées par les escorts pour faire du tort à des nouvelles en se faisant passer pour des clients insatisfaits.
Sur le problème de l'isolement, il y a beaucoup de personnes très seules, qui n'ont aucune possibilité d'en parler, beaucoup craignent le jugement des autres, n'osent pas aller voir un professionnel comme un travailleur social, ont peur de devoir justifier leurs ressources. Elles ont souvent des problèmes financiers, des situations de surendettement, des problèmes médicaux, et/ou mènent une double vie. Certaines personnes vivent aussi la prostitution comme une expérience, une découverte ou une activité professionnelle, et en sont contentes. IPPO a mené des entretiens avec ces personnes, elles ont un fort besoin de se raconter, et finalement le moyen du téléphone les sécurise car elles peuvent rester anonymes.
Concernant la santé, les pratiques sont plus étendues (domination, SM) que dans la rue. Un constat partagé par toute l’équipe est que de plus en plus de clients sont en demande et prêts à payer plus cher pour une prestation sans préservatif. Les annonces peuvent parler de « sexe nature » (sans préservatif) ou de safe sex (avec préservatif).
Nous nous sommes interrogés sur la façon d'aborder la question de la prévention. Nous posons la question des stratégies mises en place par les personnes prenant des risques. Le médecin d'IPPO a donné des consultations par téléphone où elle a pu répondre à beaucoup de questions, constatant parfois des cas d'ignorance du statut sérologique, de peur du dépistage ou d'impossibilité de le faire. Mais elle a aussi rencontré des personnes qui effectuent régulièrement un dépistage tous les trois mois. Ces entretiens permettent des questions plus directes sur la sexualité ou les prises de risque.
Réjane, notre socio-esthéticienne, travaille sur le lien et la confiance auprès des personnes incapables d'en parler, qui ont besoin de temps, et fait ensuite le lien avec les autres professionnels d'IPPO.
L'objectif concernant les victimes de réseaux n'est pas atteint car il est très compliqué d'entrer en contact avec ces personnes par téléphone. Les échanges téléphoniques sont très écourtés, ou les personnes ne parlent pas français. Il existe des centrales de réservation qui gèrent les tournées des escort en dehors de la France, ce qui constitue une barrière difficile. On constate parfois plusieurs annonces avec le même annonceur, il peut alors s'agir d'un proxénète. Nous recevons aussi parfois des réponses automatiques par SMS.
La juriste d'IPPO a constaté un vide concernant les informations juridiques relatives à la prostitution, peu de personnes, qui se prostituent via internet, connaissent la loi. Les informations en matière de violence et d’agression sont fondamentales au regard de l’isolement des personnes qui se prostituent via internet. De nouvelles questions relatives au droit à l'oubli une fois que l'annonce est sur Internet apparaissent.
Echange avec le public
Emmanuel Sorbé, psychologue
Je m'interroge sur la spécificité de cette parole au téléphone quand vous contactez ces personnes via les réseaux sociaux, qu'est-ce que tu repères comme différences entre un entretien au téléphone et un entretien en accueil de jour ?
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Il nous a fallu beaucoup de travail pour comprendre. Quand on effectue des tournées dans la rue, on a la communication non verbale, on se voit souvent, c'est une vraie rencontre. Au téléphone, il faut être vite accrocheur, trouver les bons mots, mettre la personne en situation de confiance. On ne parle pas de prostitution, on dit que nous sommes une association qui accompagne les personnes escort sur Internet, sinon cela peut faire peur. Il faut comprendre de quoi la personne a besoin dès les premiers contacts, cela permet ensuite un échange plus approfondi, car la grande majorité des personnes derrière ces annonces, mêmes quand ce sont des professionnelles, connaissent de grandes difficultés.
Question du public
Quand vous contactez ces personnes, au départ vous appelez directement ou vous envoyez un message ? Quel type de questions posez-vous ? Prévoyez-vous cela sur la durée ou juste pour un entretien directement ?
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Au départ, on envoyait des SMS pour ne pas les déranger, mais en fait elles en reçoivent des tas, cela exige d'elles une grande gestion, donc il faut les appeler pour les contacter. On demande si on ne les dérange pas, on se présente très vite, on essaie de voir comment ça se passe pour elles, on les laisse parler et on leur demande quelles difficultés elles rencontrent. Notre objectif au début n'est pas forcément la prévention mais le lien. Donc on demande : comment ça va ? Tu travailles où ? Quels problèmes tu rencontres ? Il ne faut pas être jugeant et être ouvert à toutes les réponses possibles.
Dominique Blanchart, de la Maison des femmes
N'y a-t-il pas plus de 1% de prostitution en dehors des réseaux avec Internet ? Ce chiffre, je n'arrive pas à y croire.
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Ce que l'on voit sur Internet est trop immense donc il m'est impossible de répondre à votre question. Toutes celles avec lesquelles on a parlé le font soit pour des raisons économiques, soit par choix. Elles commencent souvent par le biais d'une amie qui se prostituait aussi.
Association AIDES
Nous menons une action d'accompagnement de ces personnes sur la santé dans le Limousin et Poitou-Charentes. Une personne prostituée qui travaille avec nous nous a parlé du darknet (partie non référencée d'Internet où l'on trouve de la prostitution, des armes, de la drogue, des meurtres...), l'Internet illégal, avez-vous exploré cet espace-là où il y aurait un gros travail d'agences qui font l'intermédiaire entre les prostituées et les clients ?
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Non je ne connais pas le darknet. Dès que l'on touche à Internet, tout est possible, on a déjà beaucoup à faire avec les annonces.
Michelle Bastard, Directrice CIDFF - Charente-Maritime
Pouvez-vous nous indiquer les identifications géographiques ? Ce serait pour mon département !
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Je peux dire qu'on travaille depuis 2016 sur la grande région Aquitaine et qu'il y a des annonces partout, sur tous les territoires ! On voit quand même beaucoup de gens qui font des tournées, c'est mon impression, dans certains territoires, où il y a moins de grandes villes. On a vu beaucoup de tournées de Latinos, par exemple, beaucoup de personnes transgenres d’origine latino-américaine, qui s'installent en Espagne et viennent régulièrement en France, pendant un ou deux mois. Beaucoup de personnes ne travaillent pas dans leur lieu d'habitation. Une personne par exemple vivait en Dordogne et travaillait en Corrèze pour des raisons d'anonymat et de sécurité.
IV - Accompagner l'insertion des personnes prostituées : Table ronde
Des regards clivés aux regards croisés : de la discrimination à la cohérence
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
Le système prostitutionnel est un phénomène social complexe, en mouvement permanent et dont l’importance s’accentue sur nos territoires. J’aurais pu vous parler des évolutions des stratégies des exploitants, des routes migratoires actuelles, des lois existantes qui précèdent celle qui nous réunit aujourd’hui et de tant d’autres choses encore. J’ai fait un autre choix.
De qui je parle ? Je parle des personnes qui se prostituent sur internet, comme nous venons de l’évoquer, ou dans la rue, des diverses situations qu’elles vivent, qu’elles soient ou pas en situations d’exploitation sexuelle, des violences auxquelles elles sont exposées, en lien ou pas avec la situation de prostitution.
D’où je parle ? Je parle à partir d’une expérience de terrain de douze ans auprès de personnes prostituées, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, ayant travaillé sur ses propres représentations et tissé des liens au sein d’un réseau de partenariat. Une expérience également étayée par les travaux de chercheurs universitaires et les analyses du contexte. Une « navigation » permanente entre l’empirique et le théorique est nécessaire pour appréhender ce terrain vivant dans lequel nous rencontrons une personne dans sa singularité.
Je vais vous illustrer des regards clivés et les risques de discrimination qui peuvent en découler à partir d’une présentation type permettant de répertorier les dossiers présentés sur les parcours de sortie. La trame est la suivante : nationalité (6 cases), tranche d’âge (5 cases) situation familiale (4 cases), situation administrative (6 cases), connue du service depuis (4 cases) ; type de revenus (6 cases) ; maîtrise de la langue française (3 cases) et expérience professionnelle antérieure (4 cases). Je coche les cases ! Si je vous dis : « nigériane », « 25/30 ans », « isolée », « avec un enfant à charge au Nigéria », « sans aucun titre de séjour », « connue depuis entre 5 et 10 ans », « sans aucun revenu », « maitrise le français », « aucune expérience professionnelle » ? Vous entendez : prostituée, victime de la traite des êtres humains à de fins d’exploitation sexuelle, migrante, en errance, sans compétence particulière, appartenant à un groupe à risque face au VIH et IST car prostituée, jeune, et originaire d’Afrique subsaharienne.
Ce que nous entendons de ce parcours nous parle d’une superposition des violences, celles de : l’expérience personnelle de l’exil et de l’immigration – choisi ou forcé, la recherche de moyens de subsistance pour couvrir ses besoins fondamentaux, la question du choix, des violences psychologiques, physiques et sociales avant, pendant et après le départ, « la place physique » que l’on accorde ou pas à telle personne, comme dirait Françoise Héritier, la place faite aux personnes immigrées dans la société, des identités de migrante, de victime à sauver, de pauvre, qui lui sont assigné.
Et pourtant ces éléments de violence peuvent recouvrir des ressources telles que : une identité de femme, de mère, de fille, les compétences mobilisées dans son parcours de migration, dans sa pratique prostitutionnelle, sa capacité à affronter une nouvelle temporalité sans repères, l’attention portée à son corps et la nécessité de le reconnaitre vivant, la capacité à s’approprier ce qui préserve sa santé, sa volonté impérieuse de s’extraire de contraintes économiques, politiques, sociales, sanitaires, culturelles, ou encore son désir d’être autonome après avoir été dépendante, d’accéder à ses droits.
Enfermer la personne dans des catégories statistiques et dans une superposition de violences, c’est porter sur elle un regard clivé qui lui assigne une position de victime. Reconnaître et soutenir les ressources d’une personne, sans ignorer les violences subies, c’est l’inscrire dans une cohérence.
Là où l’assignation à la seule place de victime nourrit un regard discriminant, l’accompagnement d’une personne dans toute son histoire lui permet de s’inscrire comme sujet - comme actrice - de son parcours.
Quel accompagnement peut permettre de faire émerger la cohérence dans une histoire chaotique ? Qu’est-ce qui permet à la personne de penser ce qu’elle a rendu invisible aux autres et à elle-même ? Qu’est-ce qui l’autorise à se confronter à son histoire, son sentiment de culpabilité, son désir ? Cet accompagnement se construit avec des regards croisés. Les portes d’entrée en sont multiples : médicale, corporelle, psychologique, sociale, juridique. La personne accompagnée privilégie celle qui lui paraît la plus accessible. Mais qu’en est-il de la capacité de chaque professionnel à accepter ce choix ? Et à partir de sa spécialité, d’accompagner la personne vers les autres accès possibles ? Chacun des professionnels, dans son champ, soutient la personne dans la réappropriation de son corps, de son histoire, de ses droits, dans une cohérence. L’articulation - et non la juxtaposition – des professionnels, soutient leurs regards croisés, en inscrivant la personne dans sa cohérence.
Comment travailler ces articulations entre les professionnels ? Qu’est-ce qui permet qu’un regard médical puisse s’articuler avec un regard juridique ou social ou psychologique ? À partir de quel moment une psychologue ou un médecin peut révéler une information pour faire lien avec un autre professionnel ? Quelle information partager pour soutenir la cohérence de l’accompagnement ? En quoi le partage de ces informations répond aux besoins individuels des membres d’une équipe ou à l’intérêt de la personne accompagnée ?
Je ne peux pas parler des regards croisés au sein d’une équipe sans évoquer aussi les regards croisés entre un professionnel et une personne prostituée, cette « étrangère intime » qu’est la personne rencontrée... Si l’on parle d’équipe accompagnante qui n’est pas elle-même en situation de prostitution : « La personne prostituée, c’est moi, dans une situation différente ». Au-delà de la situation prostitutionnelle, « qui est-elle ? » Nous la rencontrons, telle qu’elle se présente à nous, dans la situation qu’elle nous décrit, dans la représentation qu’elle a de sa situation. Jusqu’à quel point peut-on supporter la vérité de l’autre pour soi-même et pour l’autre ? Que sommes-nous en capacité de reconnaître de ce parcours semé de violences ? Comment ces situations, ces récits, ces corps, résonnent- elles et résonnent-ils, en chacun d’entre nous ?
Peut-être s’agit-il des illusions nécessaires, à tout un chacun, prostituée et professionnel … parce qu’elles permettent de continuer.
Mon archipel de certitude est que ces regards croisés garantissent une construction cohérente et non discriminante de l’accompagnement afin de permettre à la personne de s’inscrire véritablement dans son parcours.
Je terminerai en citant une phrase d’Edgar Morin : "Il faut apprendre à naviguer dans un océan d'incertitudes à travers des archipels de certitude".
Articulation, cohérence et complémentarité du travail juridique, médical, psychologique et social dans l'insertion
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Depuis ce matin, nous parlons des « personnes en situation de prostitution », il me semble important que l’'on rappelle un certain nombre de choses :
Plus de 90% des personnes prostituées sont d'origine étrangère, même s’il faut sans cesse répéter que derrière chaque personne il y a une histoire singulière et unique.
Ces personnes d'origine étrangère sont confrontées à quatre difficultés principales :
1. tout d'abord tout ce qui concerne l'immigration, car cela veut dire quitter sa culture, son pays, sa famille et parfois ses enfants. Cela veut dire aussi souvent que la famille restée au pays est en attente de soutien financier, donc il faut gagner de l'argent pour eux. Cela veut aussi dire qu'on a emprunté une route migratoire qui est très traumatique, on entend parler à IPPO de ces naufrages de bateaux surpeuplés avec des morts autour des personnes qui survivent, cela veut aussi dire s'arrêter dans des pays comme le Maroc ou la Lybie, ce qui prend parfois deux ans. Il y a donc ces arrêts dans ces pays où elles se retrouvent dans une « connexion house » ; on y attend le moment propice à la traversée de la Méditerranée. Cette période d'attente peut être le début de l'activité de prostitution pour commencer à rembourser sa dette, qui représente entre 35 000 et 70 000 euros. Ensuite il y a l'arrivée en Europe souvent dans des camps de réfugiés.
2. La deuxième difficulté est l'exploitation sexuelle et/ou la traite des êtres humains. Il y a des personnes parfois exploitées par leur propre famille, notamment certaines venant des pays de l'Est, où il n'y a pas de limite dans le temps ni de dette définie. Nous avons aussi affaire à des victimes de réseaux d’exploitation. Ces réseaux exercent parfois des pressions sur leur famille restée au pays, les enfants sont parfois kidnappés. Ils utilisent des cérémonies vaudous qui sont une pression supplémentaire car elles ont peur de devenir folles ou de tout perdre. Elles subissent parfois des violences physiques si elles refusent de travailler. Souvent le seul contact qu'elles ont est une « mama » qui est une proxénète et aussi quelques « sisters », qui semblent être des copines dans la rue mais qui sont aussi là pour contrôler si le travail est bien fait.
3. La troisième difficulté est la prostitution, qui peut être un choix, une question de survie, ou une violence insoutenable. Se pose le problème du temps à accorder à sa santé, fragilisée par ce parcours, temps qui représente un manque à gagner.
4. Enfin, il y a le problème des papiers. Certaines personnes obtiennent l'asile ou la protection subsidiaire à l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), d'autres pourront porter plainte contre leur proxénète et avoir des papiers, d'autres encore sont reconnues mères d'enfants français, d'autres ont des problèmes sérieux de santé et obtiennent des papiers à ce titre, et maintenant il y a le parcours de sortie de la prostitution.
Je souhaiterais rappeler qu'une fois qu'on a ses papiers, il est très compliqué de s'investir tout de suite dans une formation ou un emploi. De par mon expérience, ces personnes qui viennent d’obtenir un droit au séjour, ne sont pas en capacité à s’inscrire dans une formation ou d’occuper un emploi si un accompagnement pluridisciplinaire cohérent n’est pas mis en place au préalable.
On considère que pour réussir son insertion il faut pouvoir s’approprier les normes et les règles de notre société.
Cela suppose un accompagnement sur son histoire et son passé liés à la prostitution et un apprentissage de la culture de notre pays.
Réjane Sallé, socio-esthéticienne de l'association IPPO
La socio-esthétique est l'une des portes d'entrée proposées à IPPO. Je travaille sur le corps et sur l'image.
Dans un premier temps je vais vous parler de l'accompagnement à l'insertion socioprofessionnelle. Les personnes en situation de prostitution ont une image qui est jouée, tellement jouée tout le temps qu'elle est ancrée en elles. Dans l'image prostitutionnelle, le maquillage, la tenue et le comportement sont très importants.
C'est cette image que l'on va essayer de déconstruire dans des ateliers que nous avons créé en binôme avec un travailleur social.
Les personnes qui viennent sont en moyenne ici depuis trois ans et parlent très peu le français. On s'est aperçus qu'il y a beaucoup de représentations sur les codes français et sur la prostitution. Par exemple :
- Il faut savoir que les personnes d'origine africaine parlent très fort, alors qu'en France c'est vécu comme une agression, donc nous leur disons que dans un entretien il faut baisser d'un ton.
- Au Nigéria, il est très mal vu de croiser les jambes, notamment face à ses parents. En France, beaucoup de personnes le font.
- Il a aussi de grandes différences entre les tenues perçues par elles comme trop sexy, voire vulgaires, et considérées ici comme simplement féminines.
- Il a fallu travailler sur le maquillage, car pour elles se maquiller équivaut à la prostitution.
L'intégration socioprofessionnelle est impossible si la personne ne connaît pas les codes culturels français.
Puis dans un second temps, je voudrais vous parler aussi du corps et de la peau qui englobe ce corps. Cette peau qui est souvent très marquée chez elles, avec des cicatrices, des marques, des brûlures qui sont souvenirs de vie. Ces marques peuvent être mal vécues car ce sont des souvenirs très violents pour elles. Mon rôle est de leur apprendre à les cacher, à les toucher et à mieux les vivre pour enfin les accepter.
Les contractions musculaires créées par les rythmes de vie et les cauchemars, crises d’angoisses peuvent être atténués par la relaxation. Il faut donc leur rappeler de prendre soin de leur corps pour retrouver un corps plaisir. Il s'agit ainsi de vivre son corps tel qu'il est, sans l'utiliser pour gagner quelque chose.
Les personnes dans ces parcours subissent une injonction permanente à parler, se justifier sur tout, se raconter. Il faut aussi qu'elles puissent être dans le silence, prendre juste soin de la personne que l’on est et pas de l'étiquette que l’on a.
Ainsi elles peuvent effectuer des allers et retours entre l'esthéticienne et la psychologue ou le médecin.
Ce travail est essentiel pour ne pas être un corps-objet, et continuer à avancer.
Dr Christophe Lagabrielle, psychologue à l'Equipe Mobile Psychiatrie Précarité (EMPP) Hôpital Charles Perrens de Bordeaux
Les personnes qui viennent d'Afrique subsaharienne n'ont pas la culture freudienne populaire d'ici, donc la somatisation leur permet d'exprimer leurs souffrances psychiques. Je constate des démangeaisons et des douleurs qui sont des marqueurs de dépression et de traumatismes. Nous avons des douleurs abdominales qui persistent, les échographies ne montrent rien, cela vient de leur souffrance psychologique. La prostitution est le fait de donner son corps, donc la relation au corps est au cœur du problème. Il s'agit d'une nécessaire mise à distance psychologique pour survivre sans être trop attaquée.
Laurent Daudet, Association de Réinsertion Sociale du Limousin (ARSL) - Limoges
Notre association a eu l'agrément en mai 2017, et on a accompagné une personne qui a décidé d'arrêter la prostitution. Elle est confrontée à des conséquences graves de la prostitution, des problèmes gynécologiques avec des fausses couches qui l'ont poussée à arrêter. Pour le travail au niveau de sa santé, elle a pu être orientée vers des services qui accueillent des personnes sans papiers. Ensuite, elle a été orientée vers l'EMPP de Limoges pour les troubles psychiatriques post-traumatiques. Enfin, pour un travail sur le corps, nous l'avons conduite vers Sophie Roulaud qui fait du coaching en travaillant sur le corps par le sport. Elle travaille aussi avec une association qui est sur Limoges et qui s'appelle Passeport Travail. Cette association, par des entretiens personnalisés, lève les barrières psychologiques à l'insertion professionnelle.
Sophie Boudou, association ARSL - Limoges
Nous avons voulu procéder par ordre, repérer l'urgence d'abord pour cette personne. L'urgence était pour elle un hébergement ; elle avait déjà un logement, mais comme elle ne souhaitait plus se prostituer et qu'elle ne pouvait pas travailler sans papiers, elle n'était plus en mesure de payer de loyer. Ce qu'il se passait à l'EMPP ne regardait que la personne et sa psychiatre, nous n'en savons pas plus. La personne a connu une transformation physique très importante : elle s'est mise à la course à pied, pour se réapproprier son corps, car elle disait qu'il ne lui appartenait plus. Elle apprend ainsi à le reconnaître et à l'accepter. Tout ce travail de coordination que l'on fait permet de la cohérence et une sécurisation de la personne. Ce sont des personnes qui ont perdu la confiance en l'autre et en elles, donc on lui permet de se réapproprier tout cela.
Michèle Bastard, Directrice du CIDFF - Charente-Maritime
Notre CIDFF a eu l'agrément en novembre 2017. Nous avons un atout pour mettre en place des parcours de sortie car nous travaillons toujours en interdisciplinarité avec les psychologues, les conseillères à l'emploi, les juristes, l’accueillante interculturelle. Il nous faut créer du lien entre nous professionnels pour pouvoir être efficace dans l’accompagnement et assurer une cohérence dans les interventions. Mon premier enjeu est de mettre l'équipe en confiance et en sécurité sur l'accompagnement des personnes prostituées, même si nous avons l'habitude d'accueillir des personnes victimes de violences. Le sujet de la prostitution était assez nouveau pour nous, donc il a fallu interroger nos représentations. Nous partons sur une approche qui ferait que la personne se pense avant tout en tant que personne et pas seulement comme une femme en situation de prostitution. Il faut évoquer et aller chercher « les parties d'elle » qui ne se prostituent pas. Il faut passer d'une position de survie à une position de vie. On peut se dire que la prostitution relève de la survie, et que nous cherchons à redonner la vie dans nos accompagnements. Il s'agit aussi de comprendre la fonction positive de la prostitution, ce qui fait qu'on y a basculé. Ces personnes ont beaucoup à nous apprendre, notamment sur comment elles supportent l'insupportable. Il faut travailler en interne sur les parcours et de manière exigeante. Et en même temps, il faut aussi travailler en externe, car il existe des freins qui ne dépendent pas de nous, et donc il s'agit de créer des réseaux extérieurs avec des personnes référentes. Nous ne pouvons pas accompagner une personne dans un parcours et qu'il n'y ait rien au bout pour des blocages qui n’émanent pas de la personne. L'accompagnement nous demande deux qualités primordiales : la persévérance et l'humilité. Il ne faut pas avoir la culture du résultat, ne pas travailler avec une pression. Il s'agit de donner du sens à cette rencontre, croire fondamentalement en cette personne, à ses possibles de sortie et à sa capacité à mettre en place les changements nécessaires pour arrêter la prostitution.
Échange avec le public
Question d'une assistante sociale en MDSI - Gironde
Je travaille au pôle insertion à Cenon et j'accompagne des dames sorties de la prostitution, mais nous rencontrons de grandes difficultés sur leurs perspectives d'insertion, nous sommes démunies.
Myriam Keghida, chargée de mission de l'association IPPO
Il faut avoir conscience que nous faisons beaucoup de projections ; moi je voulais absolument qu'elles me disent ce qu'était le métier de leurs rêves. Mais elles, elles veulent un travail « normal ». Nous avons mis en place, en 2014, des ateliers de découverte des métiers. Nous avons présenté des métiers traditionnellement réservés aux hommes avec une formation plus courte pour pouvoir gagner sa vie rapidement et un marché de l’emploi dans ce domaine non saturé. Mais elles ne veulent pas de métiers d'hommes, cela rentre en conflit avec leur valeur et leur culture d’origine. Elles veulent un travail « normal » avoir des enfants et un appartement.
Le problème aussi est que souvent quand elles ont des papiers, elles vont demander à leur réseau amical de les aider à trouver un travail de femmes de ménage. Ce même réseau amical est parfois lié au réseau d’exploitation qu’elles ont connu par le passé. Elles retombent alors dans un système de dette, un schéma difficile à réduire.
Michèle Bastard, directrice du CIDFF - Charente-Maritime
La question du rapport à l'argent est cruciale. J'ai connu Rosen Hicher, qui se nomme comme une prostituée survivante, et qui m'a dit qu’une des grandes difficultés de la sortie de la prostitution est la relation à l’argent. Vivre avec les minimas sociaux est effrayant quand on a toujours de la liquidité sur soi qui permet même dans une situation très précarisée de faire face aux besoins primaires. Donc il faut introduire dans l’accompagnement la question du rapport à l’argent, de la relation à l'argent, sur sa dimension économique et affective.
En ce qui concerne la question sur l’insertion professionnelle, je répondrai qu’il est important d’être facilitateur pour ces personnes dans l’approche à l’entreprise et de mettre à leur disposition nos réseaux professionnels étant donné qu’elles sont socialement et professionnellement distantes de ce contexte d’emploi et du marché du travail.
Réjane Sallé, socio-esthéticienne de l'association IPPO
Nous effectuons un travail sur la « re -narcissisation » de la personne. Les personnes prostituées ont acquis des compétences lors de leur activité de prostitution : la gestion du risque, la gestion d'un client difficile, savoir garder son calme, travailler de nuit, tenir debout pendant des heures, ou encore négocier. Il faut les valoriser.
Emmanuel Sorbé, psychologue
La notion de compétence se heurte au terme de « travailleur ou travailleuse » du sexe. Pour moi en tant que psychologue, pour avoir eu à chercher les compétences des personnes, le fait de pouvoir les amener à les reconnaître, leur permet de reconstituer leur identité.
Question du public
Y a-t-il un dispositif de prévu pour la protection des personnes si elles ont peur des représailles ?
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
Il existe le réseau national Ac.Sé qui protège en France les personnes victimes de traite des êtres humains. La personne part alors dans une nouvelle ville, et ne peut dire à qui que ce soit où elle se trouve. Cela représente une rupture totale avec leur vie antérieure, ce qui constitue une nouvelle fracture après la migration. Ce réseau dépend de l'association ALC de Nice. Nous collaborons avec eux depuis 2003 au sein d'IPPO et deux personnes en ont bénéficié en 2017.
Florence Briol, présidente du CIDFF - Vienne
Nous avons prévu de pouvoir faire des échanges entre associations agréées, notamment à Tours où il n'y a pas encore de réseau nigérian. Si une personne bénéficie d'un parcours dans la Vienne, il est possible de la transférer ailleurs avec son dossier de suivi.
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
Attention, je précise qu'il y a une différence entre une mise à l'abri avec Ac.Sé et trouver un hébergement simple.
Dr Christophe Lagabrielle, psychologue à l'EMPP Hôpital Charles Perrens -Bordeaux
J'ajouterais que la question de la violence ressort dans ces parcours, la violence dans ce qu'elle laisse comme traces, la manière dont elle se mémorise de manière durable qui fait ainsi traumatisme. Nous nous retrouvons face à des jeunes femmes qui ont vécu la migration, qui pose le problème de la perte et de la dépression. Elles ont un traumatisme lié à la violence et à la prostitution. Elles se heurtent aussi à la question de l'insertion dans une nouvelle culture. Nous avons une équipe pluridisciplinaire de onze personnes. Il faut créer un lieu suffisamment sécurisant pour leur permettre de se défaire des ancrages douloureux qui remontent parfois à la toute petite enfance.
V - Les commissions départementales : où en est-on ?
L'expérience de la présentation d'un dossier de parcours
Sophie Raix, DDFE de la Haute-Vienne
Pour en arriver à la présentation d'un dossier de parcours, nous avons effectué un travail que j'ai baptisé CPPF : concertation, partenariat, pédagogie, et formation. Il a fallu expliquer en quoi consiste cette loi avec une présentation du texte qui a été faite par l'Amicale du Nid.
Il y avait déjà une organisation territoriale car beaucoup d'associations avaient travaillé ensemble, notamment avec AIDES. Pédagogie, car les déléguées départementales aux droits des femmes ont eu un rôle de chef d'orchestre et de pédagogie notamment au niveau des préfets et des services des étrangers.
Les préfets ont un rôle déterminant, ils ne connaissent pas la loi par cœur, et moi j'ai l'avantage d'avoir un entretien bilatéral tous les mois et demi environ, donc je lui explique les étapes de l'application de la loi. Il a fallu lui rappeler ce que l'on attendait de lui, et notamment il voulait une commission d'avis qui suivait la commission d'installation.
Il faut dire que ce n'est pas évident pour les partenaires de savoir quel est leur rôle dans la commission.
Enfin, formation avec plusieurs temps : pour les salariés de l'association, pour les membres de la commission et comme au colloque d'aujourd'hui.
Laurent Daudet, association ARSL - Limoges
Ce qui nous a permis d'être agréés, c'est qu'il existait déjà dans notre association un dispositif de lutte contre les violences. Pour encadrer le parcours de sortie, il fallait être formé : nous avons bénéficié d'une première formation par l'Amicale du Nid en juin. Nous en avons eu une seconde par IPPO à Périgueux qui nous a permis de rencontrer des collègues d'autres départements. Sur le dossier présenté à la commission, il a aussi fallu faire tout un travail de connaissances. La personne qui s'est engagée dans le parcours est une femme nigériane, donc nous avons dû nous informer sur le réseau de prostitution nigérian, sur le « juju », le contexte au pays, afin de comprendre la situation de la personne et de répondre aux questions de la commission, notamment sur la traite des êtres humains.
Sophie Boudou, association ARSL - Limoges
Ce qui a été important pour la mise en place de cette commission et de la commission d'avis, c'est que nous avons choisi de faire un focus sur l'histoire du réseau et comment ça se passe pour les prostituées nigérianes. C'était primordial pour que les partenaires aient connaissance des enjeux pour la personne dont on a présenté le dossier. Je pense que cela a favorisé un retour positif pour le dossier. Concernant la constitution du dossier, nous avons passé beaucoup de temps d'entretien avec cette personne. Nous la voyions environ deux fois par semaine, et nous avons effectué le récit de vie à la fin. Nous avons tenu à prioriser le lien et la confiance, pour que la personne puisse se livrer dans les meilleures conditions possibles. Nous avions aussi besoin de ce temps-là pour apprendre à la connaître.
Nous faisons les choses par étapes, la question de l'insertion professionnelle est venue en dernier, car il y avait plein d'étapes avant. On doit en effet passer par la réparation de la personne, sa fille est restée au Nigéria et a été repérée par le réseau donc elle est en danger. Après six mois, nous verrons si le parcours est renouvelé ou pas. Nous commençons donc par les soins, puis il y aura d'autres étapes jusqu'à l'insertion professionnelle. Nous ne pensons pas atteindre l'insertion professionnelle au bout de six mois.
Laurent Daudet, association ARSL - Limoges
Dans le dossier, la personne s'engage à arrêter la prostitution et doit annoncer des objectifs, puis les tenir. Nous avons suivi les objectifs que la personne voulait : retrouver sa véritable identité. Elle a vécu huit ans sous un alias, a effectué sa demande d'asile sous ce faux nom, et retrouver son identité permet de débloquer plein de choses au niveau psychologique, et de recouvrer sa liberté. La constitution du dossier n'est pas évidente, c'est un travail très administratif, nous avons aidé la personne pour la formulation et l'écrit.
Sophie Raix, DDFE de la Haute-Vienne
Le dossier était bien étayé, ce qui a été très apprécié par la commission, il y avait beaucoup de certificats. C'était particulièrement important pour le préfet. Il a d'ailleurs fait très vite après la commission, il ne souhaitait pas faire attendre la personne, et a donc obtenu l'APS rapidement. L'association AIDES ne s'est pas positionnée sur l'agrément, mais a aidé sur le parcours, malgré les divergences d'approches du sujet.
Sophie Boudou, association ARSL - Limoges
Nous avons rencontré la personne pour la première fois le 7 août, et le passage en commission a eu lieu le 10 octobre. Nous avons donc eu peu de temps pour développer le dossier. La personne était très déterminée dans son choix, elle savait où elle voulait aller, elle s'est confiée très facilement, et a vécu une transformation physique réelle au fur et à mesure des étapes qu'elle a passées.
Point d'étape national sur les commissions départementales
Martine Jaubert, Cheffe du bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie personnelle et sociale, Service des Droits des Femmes et de l'Egalité (SDFE)
Notre mission est d'être le levier de mise en œuvre du volet social de la loi de 2016.
La loi a quatre axes : la pénalisation des clients, la lutte contre le proxénétisme, la sensibilisation et les parcours de sortie de la prostitution.
Toute personne victime de prostitution peut bénéficier d'un accompagnement adapté pour accéder à des alternatives.
La commission départementale a pour objet de mobiliser les acteurs institutionnels et associatifs et de structurer l'action locale. Il faut souligner le caractère inédit de ce type d'instance, car pour les violences faites aux femmes, seuls des comités ont été créés par décrets, donc il n'y en avait pas partout et ils étaient parfois réduits à de simples groupes de travail.
Ces commissions demandent un fort investissement des déléguées départementales aux droits des femmes qui sont vraiment en charge du suivi et de l'animation de cette instance.
Les missions des commissions se trouvent à un double niveau :
- une mission stratégique d'élaboration et de déclinaison de la politique départementale en matière de protection et d'assistance des victimes, et
- une mission de décision sur les demandes de parcours et de renouvellement de ces parcours.
Dans les commissions, il peut y avoir d'autres acteurs que les associations agréées, mais l'avis n'est donné que par les membres des commissions.
C'est ensuite le préfet qui décide.
Il y a une grande diversité des acteurs qui représentent tous les aspects de la problématique : la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (DIRECTTE), le service des étrangers, des collectivités territoriales, la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS), la justice, la police, la gendarmerie, les services académiques et un médecin.
Nous voulions l’Agence Régionale de Santé (ARS) à la place du médecin, mais nous ne l'avons pas obtenu. Cette commission vise à rassembler les acteurs et à avoir une analyse transversale et pluridisciplinaire du sujet.
Il s'agit de mener une politique publique coordonnée de protection des victimes de la traite et d'exploitation sexuelle en s'appuyant sur l'expertise des associations.
Il est nécessaire de faire émerger une culture commune sur les missions de la commission et la place de chacun de ses membres.
Nous avons pris en compte la nécessité de sensibiliser ces membres en 2017 presque partout en France afin de permettre aux membres de donner un avis éclairé.
Sur les territoires où il n'existerait pas de prostitution, des diagnostics sont en cours. La décision des membres est grandement facilitée en préparant le dossier de demande en amont.
Le déploiement du dispositif est progressif en 2017.
Il y a eu un délai d'élaboration des textes réglementaires, avec quatre décrets : celui du 28 octobre 2016 relatif aux parcours de sortie, celui sur l'autorisation de séjour, celui du 13 avril 2017 relatif à l'Aide Financière à l'Insertion Sociale et professionnelle (AFIS) et celui du 29 novembre 2017 pris en Conseil d'Etat sur l'aide financière.
Il y a également eu un délai d'appropriation du cadre réglementaire, facilitée par la publication d'une circulaire en janvier 2017 pour le réseau, qui a été pensée comme une boîte à outils.
Il y a eu ensuite un travail d'identification des acteurs pertinents et de lancement de diagnostics territoriaux.
Enfin, la campagne de procédure d'agrément des associations a été lancée puis les commissions ont été mises en place.
Aujourd'hui, il y a environ quarante-huit associations agréées. La moitié vient du Mouvement du Nid et de l'Amicale du Nid, et les autres des CIDFF, IPPO, l'ALC Nice etc... Seize commissions départementales ont été installées et vingt-trois parcours de sortie ont été autorisés. La Mutuelle Sociale Agricola (MSA) a reçu neuf dossiers de parcours donc elle versera l'AFIS.
Concernant les perspectives pour 2018, l'égalité femmes-hommes est la grande cause du quinquennat, et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dont la prostitution, s'y inscrit pleinement.
Le président de la République a fait un discours le 25 novembre dans lequel il a affirmé que le premier pilier de cette politique est la lutte contre les violences, et il est clair que les parcours de sortie de la prostitution y ont toute leur place.
Une circulaire sortira pour préciser les conditions d'ouverture des droits dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution, et l'articulation entre l'AFIS et l'Autorisation Provisoire de Séjour (APS).
Enfin, il y aura une évaluation de la loi de 2016 en avril 2018.
J'ai bon espoir que les choses avancent.
Échange avec le public
Emmanuel Sorbé, psychologue
Est-il prévu, dans les décrets d'application, un délai d'instruction des dossiers présentés ?
Martine Jaubert, SDFE
Non il n'y a pas de délai prévu.
Question du public
Dans le cadre d'un refus, y a-t-il une possibilité de faire appel ?
Martine Jaubert, SDFE
Toute décision administrative de refus doit être motivée, et peut faire l'objet d'un recours.
Une assistante sociale de Bordeaux
J'interviens en prison, auprès de personnes à la fois victimes de proxénétisme et auteures. Le temps carcéral est un temps où le corps se repose, et un temps d'isolement, ne pourrait-il pas être utilisé pour préparer le parcours ?
Martine Jaubert, SDFE
Cela dépend de l'objet de la condamnation, et du temps de condamnation.
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
Notre association a connu des personnes accusées et leur a rendu visite en prison. Sachant que les réseaux obligent des personnes à prostituer d'autres personnes, il y a un travail à faire sur les raisons qui poussent une personne à en prostituer une autre. Il ne faut pas classer les personnes comme irrécupérables à la sortie de la prison.
Question du public
La personne dont le dossier a été présenté avait-elle des papiers d'identité ?
Sophie Boudou, association ARSL de Limoges
Non elle n'avait pas de papiers, seulement un récépissé sur son alias qui n'était plus valable depuis 2011, mais elle a récupéré un extrait de naissance auprès de sa mère.
Question du public
Pouvez-vous préciser le contenu de la circulaire en préparation ?
Martine Jaubert, SDFE
La circulaire du 30 janvier 2017 était signée par Mme Rossignol, et contenait une partie caduque suite au décret du 29 novembre 2017 relatif à l’AFIS (Aide financière à l’insertion sociale et professionnelle). Nous en profitons donc pour renégocier avec le ministère de l'Intérieur pour une Co signature d’une circulaire en vue de mieux articuler l’ouverture des droits dans le cadre du parcours de sortie de la prostitution ( APS et AFIS) et clarifier les choses.
Question du public
Il y a une dichotomie entre le fait que les bailleurs sociaux ne peuvent accepter une personne qu'avec un titre de séjour d'un an et le fait que les personnes bénéficiant du parcours de sortie n'ont une APS que de six mois. Elles ne sont pas plus prioritaires que les autres, la Croix-Rouge n'a pas encore été officiellement missionnée pour s'occuper des personnes prostituées, mais uniquement des des femmes victimes de violences conjugales, donc elle n'héberge pas les personnes prostituées.
Martine Jaubert, SDFE
Il y a un projet de loi logement en cours de préparation, donc nous ferons remonter ce problème concernant les bailleurs sociaux.
Question du public
Comment fait-on pendant le temps de l'instruction du dossier pour que la personne survive, quelles sources de revenus a-t-elle ?
Sophie Boudou, association ARSL de Limoges
La personne que nous suivons en Haute-Vienne a arrêté de se prostituer en mars 2017, elle n'a plus de ressources, donc elle vit du peu d'argent qu'elle avait mis de côté.
Question du public
Mais la situation de précarité peut pousser la personne à reprendre la prostitution. Les 330 euros de l'AFIS, alors que la personne est habituée à très bien gagner sa vie, peuvent-ils la convaincre de sortir de la prostitution ?
Laurent Daudet, association ARSL de Limoges
Jusqu'au mois d'août, la personne a vécu dans son appartement, puis elle a été hébergée par une autre association qui la loge et la nourrit. Cette solution lui permettait de ne pas retomber dans la prostitution pour subvenir à ses besoins primaires. Mais les autres personnes n'ont pas toutes la possibilité d'être hébergées, le 115 est saturé partout. Si le parcours de sortie est accepté, la personne obtient un hébergement à vocation d'insertion en CHRS par exemple.
Anne-Marie Pichon, directrice de l'association IPPO
Il y a un risque que ces femmes soient reprises par les réseaux si elles retournent dans la rue. Sur les quatre refus de parcours de sortie en Gironde, deux sont logées sans payer de loyer et reçoivent des colis alimentaires, une est logée par une amie en échange de la garde de sa fille, et une est en cours de demande d'asile, et donc logée à ce titre.
Question du public, un médecin
Quelles sont les représentations de l'Etat, comment peut-on vivre avec 330 euros par mois ? Je vois des femmes qui sont en grande précarité alors qu'elles ont arrêté la prostitution.
Quelle dynamique pour l'accompagnement des personnes prostituées dans les départements ?
Marie-Christine Foudral, Directrice du Service d'Accompagnements des Familles en Difficultés (SAFED) - Dordogne
Notre association a obtenu l'agrément en Dordogne.
A l'une des premières réunions, les forces de l'ordre et les politiques ont dit qu'il n'y avait pas de prostitution dans le département. Nous avons dû réaliser un diagnostic, via un questionnaire à transmettre à nos partenaires portant sur l'état des lieux de la prostitution dans le territoire et sur les besoins des professionnels. Nous n'avons obtenu que huit réponses dans un premier temps, mais après une relance, quatre-vingt-huit questionnaires ont été récoltés. Sur les lieux où la prostitution est pratiquée : des logements privés, des quartiers de gares, des squats, et Internet ont été signalés.
Les personnes ont entre 26 et 45 ans en majorité.
Les raisons de leur activité de prostitution sont une enfance compliquée, un manque de ressources, une fragilité psychologique, une prostitution forcée au pays ou à cause d'un conjoint violent.
Beaucoup de réponses sont davantage basées sur les impressions des professionnels que sur des réponses objectives. Les professionnels confient ne pas savoir comment parler de prostitution avec ces personnes et on constate une méconnaissance des dispositifs qui existent.
Nous avons bénéficié d'une sensibilisation, en plus du colloque d'aujourd'hui, et nous avons ébauché des pistes de convention avec des partenaires comme Pôle Emploi.
Nous sommes inquiets à propos de nouvelles directives en janvier 2018 sur des centres d'hébergement où les structures devraient signaler en préfecture des personnes sans papier.
Nous effectuons une tournée de tous les partenaires potentiellement en contact avec des personnes en situation de prostitution afin qu'ils puissent les orienter : Protection Maternelle Infantile (PMI), Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) etc.
Nous avons un premier dossier avec une dame qui vient du Congo, qui devrait être présenté en janvier ou février. Il s'agit d'une personne très volontaire pour le parcours de sortie.
Cécile Chambon, Déléguée départementale aux droits des femmes de la Dordogne
Le diagnostic territorial était une étape importante. Nous avons présenté la loi en comité de pilotage sur les violences en octobre 2016 et avons fait un appel à candidature pour agréer une association. Nous avons eu deux associations candidates.
En décembre 2016, Sophie Buffeteau et moi-même avons mené des entretiens selon une grille de notation précise. Nous avons porté notre choix sur le SAFED pour ses propositions d'actions.
Le SAFED gère déjà un Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS), un accueil de jour pour des femmes et est référent pour le téléphone grand danger. Nous avons fait un point d'étape sur la loi en mars 2017.
Le SAFED a ensuite été agréé en mai 2017 puis nous avons installé la commission en présentant une définition jurisprudentielle de la prostitution, la loi et son application, les missions du SAFED, la composition et le rôle de la commission.
La préfète a donné une conférence de presse à la fin de la commission, cela a été un succès.
Le principal écueil en Dordogne était l'idée que la prostitution n'existe pas car il n'y a pas forcément de prostitution visible. Cet écueil a été réduit, nous avons fait un travail sur les représentations des professionnels qui peuvent les rencontrer. Puis nous avons suivi une formation de trois jours avec IPPO et avons organisé une journée de sensibilisation au phénomène prostitutionnel qui a réuni trente-cinq personnes, le 6/12/2017.
Pour 2018, nous organiserons une commission avec la présentation d'un premier dossier. Nous ferons aussi un travail de fond de prévention de la prostitution auprès des jeunes.
En effet, lors de la journée de sensibilisation du 6/12/2017, trois assistantes sociales de l'Éducation nationale ont dit qu'elles ont rencontré des élèves en situation de prostitution ou risquant de l'être.
Valérie Lamarche, Déléguée départementale aux droits des femmes de la Vienne
Je tiens à dire qu'il est hors de question de travailler pour rien, nous sommes tous animés par cela. On se heurte tous à des difficultés pour l'application de cette loi, mais on est conscients qu'il s'agit de vies humaines derrière.
Dans le département de la Vienne, il y a eu deux commissions : une commission d'installation où a été abordé la crainte que les réseaux se servent de ces parcours ainsi que le problème de l’hébergement d'urgence embolisé sur le département.
La préfète a écrit un courrier à la DGCS à ce propos et a obtenu la confirmation qu'il n'y avait pas de crédits supplémentaires pour l'hébergement d'urgence.
La deuxième commission a permis de présenter quatre parcours, un seul a été accepté par la préfète, les trois autres ont été ajournés car les dossiers étaient incomplets.
Nous avons également formé les membres de la commission avec le Mouvement du Nid et des salariés du CIDFF avec IPPO.
La presse nous sollicite souvent pour se tenir au courant de l'avancée des dossiers.
Florence Briol, Présidente du CIDFF Vienne
Nous avons effectué une demande d'agrément dès décembre 2016, car en 2004 nous avions monté une maraude qui rencontrait des femmes à Poitiers tous les jeudis avec Médecins du monde. Cela a permis une sensibilisation des bénévoles sur le sujet.
Nous nous sommes un peu séparés car nous avions des visions nationales divergentes. En 2015, un accueil de jour a été créé avec les Ami.e.s des Femmes de la Libération.
Il se tenait le mardi après-midi dans une salle, mais on projetait sur elles nos habitudes administratives, ce qui n'a pas fonctionné.
Nous avons créé un groupe partenarial associant l'ensemble des associations : AIDES, le planning familial, Médecins du monde, le CIDFF et les Ami.e.s des Femmes de la Libération. Ce groupe avait pour objectif une prise en charge globale des personnes avant même la loi.
Nous avons obtenu l'agrément en février 2017, puis la commission a été installée, sans dossier à la première car il fallait un temps de formation de la commission avec le Mouvement du Nid.
Treize personnes ont été rencontrées pour le parcours de sortie, et quatre ont accepté de candidater, malgré les difficultés de communication en anglais. Nous avons bon espoir d'obtenir un avis favorable pour les quatre parcours.
En attendant, ces femmes sont en difficulté. Nous avons un peu de découragement car nous en parlons depuis 2015 au moins.
En 2017, deux jeunes filles de seize ans ont été prises en charge en une journée avec l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE). C'était un beau travail réussi grâce au repérage effectué par les Ami.e.s des Femmes de la Libération.
Nous faisons du lobbying pour faire avancer la réglementation depuis six mois.
Échange avec le public
Question de l'ex Présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FNARS) Aquitaine, aujourd’hui Trésorière de la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS).
Nous sommes concernés par ces personnes en tant qu'acteur généraliste de la lutte contre l'exclusion car la prostitution est liée à une forte précarité.
Il faut augmenter les moyens donnés pour la lutte contre la prostitution, accélérer la mise en place des droits ouverts par la loi, garantir la visibilité sur l'avancée des parcours de sortie, consacrer des moyens pour la formation des intervenants sociaux, distinguer politique migratoire et prise en charge des personnes prostituées, mettre fin aux arrêtés municipaux discriminants, donner l'accès à la demande d'asile aux victimes de la traite, fusionner les minimas sociaux, mettre fin aux discriminations d'âge pour le RSA, doubler le nombre de postes dans l'insertion sur cinq ans, développer des outils d'évaluation de la prostitution par l'État pour observer son évolution et consacrer les crédits de confiscation de biens des réseaux à la lutte contre la prostitution.
Conclusion par Lilian Mathieu
Il est difficile de faire une synthèse d'un échange aussi riche et, je l’ai dit ce matin, le sociologue n'est pas nécessairement critique. Je ne suis pas un professionnel de l'action sanitaire et sociale.
Alors qu'est-ce qu'un discours critique ?
Adopter une posture critique et, par exemple, pointer des décalages entre ce que disent les institutions et ce que sont vraiment leurs pratiques, nous explique Luc Boltanski.
On constate un écart entre les ambitions de la loi de 2016 (40 000 personnes prostituées), et la modestie des résultats pour les parcours au bout d'un an (23 parcours).
Si l'objectif était l'abolition de la prostitution, cela prendra un certain temps. Je comprends que le dispositif soit nouveau, qu'il faut se l'approprier et que les personnes s'y inscrivent. Il y a donc un décalage qui semble significatif et qui n'est pas totalement nouveau : je pense à d'autres chiffres sur l'importance de la Traite des Etres Humains en France et la modestie des condamnations dans les tribunaux pour la Traite. Cela pose la question du financement d’une politique publique en partie sur les biens des proxénètes alors qu'il y a si peu d'arrestations. Il y a un écart de grandeur entre le discours de la loi et les premiers résultats de sa mise en œuvre.
J'ai le sentiment d'assister à une révolution dans la manière de cadrer le problème de la prostitution et dans la manière de produire une politique de prise en charge des personnes prostituées.
Dans les années 1990, la crise du sida a poussé à l'auto support et à la santé communautaire, avec un accent sur les ressources collectives, la valorisation des sentiments identitaires et la mise en valeur de l'autonomie des personnes.
Nous assistons aujourd'hui à une nouvelle révolution dans la manière de voir la prostitution comme une violence faite aux femmes, avec une appréhension plus individualisante, plutôt que de valoriser l'appartenance à une communauté.
On met beaucoup l'accent sur les motivations, il me semble que l'on attend beaucoup des personnes elles-mêmes pour leur permettre d’accéder aux parcours, ce qui représente une pression lourde pour des personnes aux trajectoires difficiles.
Les associations ont dû apprendre à s'approprier le sujet et faire coexister des populations différentes comme des femmes victimes de violences. L'approche par la santé communautaire a été impulsée par l'administration de la santé mais aussi de la base par les premiers concernés.
Dans le cas présent, l'impulsion vient uniquement de l'État par la loi, ce qui change la donne.
Enfin, se pose la question des identités : Bourdieu dit que l'État a le monopole de la catégorisation, car les catégories produites par l'État ont la plus grande force.
La question de la véritable identité de la personne s'impose avec brutalité.
Placer la commission sous l'autorité du préfet est un marqueur fort des difficultés qu'il y a à donner à cette politique l'ampleur dont elle se réclamait initialement.
J'ai beaucoup appris aujourd'hui, je remercie les organisatrices et organisateurs de la journée.
Remerciements
Nous tenons à remercier chaleureusement :
Anne Lise SAVART, pour la rédaction de ces actes.
Sophie BUFFETEAU, Directrice Régionale Nouvelle-Aquitaine aux Droits des Femmes et à l’Égalité aux Droits,
Cendrine LEGER, Directrice Départementale aux Droits des Femmes et à l’Égalité,
Hélène ALIDJRA, Cheffe de service Égalité-Vie Associative-Solidarité Direction Sports-Vie Associative- Égalité, Nouvelle-Aquitaine
Sylvie MARCADIE, Responsable Unité Solidarité, Service Égalité-Vie Associative – Solidarités, Direction Sport-Vie Associative- Égalité Site de Bordeaux
Emmanuel SORBE, psychologue clinicien,
Pour leur implication, sans faille, dans l’organisation et la réalisation de ce colloque.
Tous les intervenants qui par leur engagement, leur implication et la richesse de leurs interventions ont nourri nos questionnements et nos pensées.
Tous nos partenaires et plus largement tous les participants, qui ont répondu présents à notre invitation.
À toute l’équipe d’IPPO, qui a su se mobiliser pour que ce colloque voie le jour.